Bòz, bikoul, kérosène… la jeunesse haïtienne se réfugie dans la drogue

De nouvelles substances ou de nouveaux mélanges apparaissent chaque année, et tendent à rendre les jeunes haïtiens dépendants. L’Association pour la prévention de l’alcoolisme et autres accoutumances chimiques (APAAC) tente, dans la mesure de ses moyens, de lutter contre un mal grandissant
Les jeunes Haïtiens sont de plus en plus exposés à l’alcool et aux drogues, selon différentes études. Dès qu’un individu commence à consommer ces substances, il est exposé au risque de devenir dépendant. L’Association pour la prévention de l’alcoolisme et autres accoutumances chimiques (APAAC) tente de prévenir cette tendance.
Selon Esther Lahens, agent de prévention à l’APAAC, l’âge de début de consommation est précoce, surtout en ce qui concerne l’alcool. « Quand nous allons faire une sensibilisation dans une école, dit Esther Lahens, nous parlons aux élèves de la 4e année fondamentale à la Terminale. En effet, dès 9 ou 10 ans ils sont déjà au contact de l’alcool. Certains d’entre eux ont des parents qui les envoient acheter du clairin. Ils y goûtent. C’est souvent le début d’un cycle d’addiction. »
Dès 9 ou 10 ans ils sont déjà au contact de l’alcool
La coordonnatrice de l’APAAC, Gaëtane Auguste, assure que de très tôt, certains adolescents ont déjà fait leur première expérience avec l’alcool ou avec d’autres substances illicites comme la marijuana. « Nous avons déjà reçu des enfants de 12 ans, pour lesquels les parents venaient chercher de l’aide, dit-elle. Et même ceux qui viennent à l’âge de 17 ou 18 ans ont déjà 3 ou 4 années de consommation derrière eux. »
Pour lutter contre cette précocité en particulier, et contre la consommation d’alcool et de drogues en général, l’association met toute son énergie dans la prévention et la réhabilitation, dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. « Nous ne travaillons pas vraiment dans les villes de province par manque de moyens, déplore Esther Lahens. Même pour la réhabilitation, dans le temps nous avions notre propre espace pour interner les patients. Nous avons dû le fermer. »
Gaëtane Auguste regrette elle aussi que la toxicomanie ne soit pas dans la liste des priorités de l’État. « Cela fait 33 ans que nous existons, dit-elle. Nous sommes seuls dans cette lutte. Ce sont pour la plupart des particuliers qui nous aident à tenir. »
Quels types de drogue consomment les jeunes ?
Une drogue est une substance qui peut altérer la façon dont on perçoit la réalité, les émotions, ou qui modifie le comportement.
Elles sont de deux types, au regard de la loi : les drogues dites licites, c’est-à-dire légales, et celles qui sont illicites. Dans ces deux catégories, on retrouve des substances diverses qui agissent sur le cerveau d’une manière telle que l’addiction devient facile. Certaines drogues comme la morphine ou l’héroïne font partie d’une catégorie de drogues appelées dépresseurs. Elles provoquent une sensation de détente, de rêve et chassent la timidité.
« Ce sont des substances très dangereuses, dit Esther Lahens. Mais, comme elles se vendent relativement à un prix élevé, il n’y a pas beaucoup d’utilisateurs dans le pays. Ce sont surtout ceux qui ont de gros moyens, ou qui ont l’habitude de voyager, qui peuvent se les procurer. »
Et de continuer: « De plus, l’héroïne et la morphine sont injectées dans l’organisme par une seringue, généralement. Mais les Haïtiens n’aiment pas se faire piquer, c’est d’après moi une autre raison qui explique que ces drogues ne sont pas les plus populaires. »
L’invasion de la marijuana
C’est une tout autre chose pour la marijuana, qui est la drogue illicite la plus consommée du pays, bien qu’elle soit illégale. Jennifer, une jeune femme de 27 ans, avoue qu’elle en fume régulièrement, depuis 10 ans. Pour elle, c’est un plaisir inégalé de se rouler un joint. « Quand je rentre à la maison, après une journée de travail, je fume toujours du cannabis, en regardant une série, avoue-t-elle. Pour moi c’est tout un art, et j’aime la sensation qu’il me procure. »
Un usager de marijuana roule son joint
Cette drogue, la marijuana, fait partie de la catégorie des perturbateurs parce qu’elle modifie la façon dont le consommateur perçoit la réalité, le temps et l’espace. Elle se présente sous la forme d’herbe ou d’huile.
Le bòz est consommée de plusieurs façons. « Il y a des gens qui l’utilisent en cuisine, comme on ferait pour des épinards explique Esther Lahens. D’autres la consomment sous forme de petits gâteaux. D’autres l’infusent pour en faire du thé. »
La marijuana est la drogue illicite la plus consommée du pays
Il y a aussi l’ecstasy, minuscule comprimé appelé drogue du violeur, et qui se dilue rapidement dans du liquide. Le datura, plante communément appelée fèy klòch qui est un puissant hallucinogène, et la chicha ou hookah ont vu leur consommation grimper ces dernières années.
Appareils chicha
Les médicaments : des drogues aussi !
D’après Esther Lahens, tous les médicaments sont des drogues. Certains contiennent un composé chimique appelé codéine. La codéine est dérivée de la morphine. « Les sirops contre la toux, apparemment inoffensifs, sont hautement addictifs, explique-t-elle. Les médicaments contre la douleur, comme le paracétamol, sont des dépresseurs. Ce sont des médicaments dosés et qui sont d’excellents analgésiques, mais ils ont des effets secondaires addictifs dès qu’on les consomme trop. C’est la même catégorie de drogue que l’alcool, la morphine et l’héroïne. Ils ralentissent le fonctionnement du cerveau. »
Lire aussi : 4/20 et la marijuana dans le contexte haïtien
Dans des pays européens comme la France, depuis des années les médicaments codéinés sont utilisés à des fins récréatives par les jeunes. En Haïti, il est courant de repérer dans certaines fêtes des jeunes qui consomment une boisson comme le Fanta, dans laquelle ils ont mis un médicament à base de codéine, mais aussi de la menthe ou de l’alcool.
Bikoul, kérosène…
L’addiction n’est pas réservée aux drogues ou à l’alcool. Certaines substances ont été introduites récemment dans les habitudes de consommation des jeunes. C’est le cas du bikoul, une boisson à base de marijuana.
« Le bikoul fait des ravages chez les jeunes, se désole Esther Lahens. Il baisse les émotions chez la personne qui en consomme. Elle ne sent plus concernée par ce qui se passe autour d’elle. J’ai connu une élève qui m’expliquait que lorsqu’elle en consommait, elle se sentait planer. Ses envies sexuelles décuplaient aussi ; elle était prête à coucher avec n’importe qui. »
Le Bikoul fait des ravages chez les jeunes, se désole Esther Lahens. Il baisse les émotions chez la personne qui en consomme. Elle ne sent plus concernée par ce qui se passe autour d’elle.
D’autres addictions sont plus inhabituelles, mais non moins dangereuses pour la santé physique et mentale. « Je connais une jeune femme qui est accroc à l’odeur du kérosène, dit Esther Lahens. Elle ne peut pas dormir sans sentir l’odeur de ce carburant. Pour elle c’est le meilleur moment de la journée. »
L’addiction au kérosène s’en va grandissant. Photo: Akos Stiller/Bloomberg
La gazoline, la colle du cordonnier appelée ciment, l’acétone sont autant de substances qui rendent dépendants des gens qui en sniffent régulièrement, surtout les jeunes qui vivent dans les rues.
… et alcool
L’alcool reste la principale substance addictive consommée dans le pays, quelle que soit la catégorie. De la bière au kremas, il existe sous différentes formes.
Tout dépend du sexe et de l’âge de la personne, du lieu où elle vit ou encore de son niveau d’éducation, ses habitudes de consommation varient. Selon les derniers chiffres de l’enquête EMMUS VI du Ministère de la Santé publique et de la population, chez les jeunes femmes de 15 à 34 ans, la bière est la principale boisson alcoolisée.
Plus de 60 % des femmes ne boivent pas d’alcool, comparé à seulement 20 % des hommes qui n’en consomment pas
Cette consommation augmente si elles ont un niveau d’instruction supérieur. Près de 44 % des femmes qui ont été à l’université consomment de la bière, 35 % du vin. Cependant, plus de 60 % des femmes ne boivent pas d’alcool, comparé à seulement 20 % des hommes qui n’en consomment pas. Les jeunes hommes boivent plus que les jeunes femmes, quel que soit le critère de sélection que l’on considère.