Des secousses deux fois plus fortes que prévu

À deux semaines du 10e anniversaire du séisme du 12 janvier 2010, la présente chronique est consacrée au risque sismique. Nous allons continuer à vous présenter quelques résultats scientifiques enregistrés ces 10 dernières années. Les uns moins rassurants que les autres. Toutefois il vaut mieux les connaître pour de meilleures dispositions en termes d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

C’est pas sorcier…

Dans une chronique datée du 13 décembre 2018, j’avais expliqué en détail la genèse d’un tremblement de terre (1). Rappelons ici certains éléments comme les types de failles pour comprendre la suite.

Une faille est une cassure dans la terre qui peut aller jusqu’à plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres de profondeur pour les limites de plaques. Cette cassure qui peut s’enfoncer verticalement ou de manière inclinée sépare deux blocs rocheux. Une faille verticale est généralement une faille décrochante (strike-slip fault, en anglais), c’est-à-dire les blocs coulissent l’un par rapport à l’autre, comme une porte coulissante. Une faille inclinée peut être une faille inverse ou une faille normale. La faille est inverse (reverse/thrust fault) quand l’un des blocs tend à monter par-dessus l’autre. La faille est normale (normal fault) quand l’un des blocs s’affaisse et tend à s’écarter de l’autre. Faille normale: c’est le nom de ce type de faille. Ça n’a rien à voir avec la normalité ou la conformité. Notez que tous ces mouvements entre les failles se font lentement, de l’ordre de quelques millimètres par an.

Des trouvailles pas très rassurantes

Maintenant que vous avez compris les types de failles, prenons notre cas. La faille de la presqu’île du Sud (Enriquillo) est une faille décrochante (verticale). Elle part de loin, de la mer des Caraïbes et pénètre la presqu’île du Sud d’Haïti par Tiburon. Elle traverse toute la presqu’île d’ouest en est. Avant le séisme de 2010, nous savions que la faille existait et qu’elle aurait continué dans la vallée d’Enriquillo, en République dominicaine. Sauf que de nouvelles études basées sur de nouvelles données ont récemment mis en évidence un détail important.

Nous avons observé la faille à partir de Tiburon. Elle est effectivement une faille décrochante qui traverse Camp-Perrin, l’Azile, Fond-des-Nègres, Miragoâne, Petit-Goâve, Grand-Goâve, Léogâne jusqu’à Pétion-Ville, banlieue sud de Port-au-Prince. À l’est de Pétion-Ville, soit dans la plaine du Cul-de-Sac, on ne voit plus cette faille décrochante. On voit plutôt tout un système de failles inverses (2) notamment une principale plongeant sous le massif de la Selle en Haïti et la Sierra de Bahoruco en république voisine. Puis, d’autres plus secondaires au coeur de Port-au-Prince, Croix-des-Bouquets, Ganthier, Fond-Parisien, entre autres (3).

Ce que cela implique pour la menace sismique

Vous pourriez me dire : « qui, vous ne voyez pas la faille (Enquillo) à laquelle vous vous attendiez mais vous voyez un autre type de faille ? Cela revient au même. » Pas tout à fait. Les professeurs Steeve Symithe et Eric Calais (4) ont montré que ce n’était pas une bonne nouvelle d’avoir des failles inverses dans la plaine du Cul-de-Sac, près de Port-au-Prince. Ils ont étudié deux scénarios de mouvement du sol en cas d’un séisme de magnitude 7. L’un avec une faille décrochante dans la plaine comme on l’a cru avant, et l’autre avec une faille inverse comme on le sait maintenant. Le résultat est sans appel : un séisme de magnitude 7 sur la faille inverse fera trembler Port-au-Prince et la plaine jusqu’à deux fois plus que si la faille était décrochante !

Pour mieux comprendre, assimilons le mouvement de la faille à celui d’une pelle. Si vous enfoncez une pelle verticalement dans du sable, ce sera difficile de soulever le sable. Si, au contraire, vous enfoncez la pelle de façon inclinée ou oblique, ce sera plus facile de soulever le sable et le faire bouger fortement.

Ces résultats sont vulgarisés parce que la population a droit à l’information. Mais il n’y a pas lieu de s’affoler. Difficile de dire quand et où sera le prochain séisme. Cependant, tout en étudiant davantage ces failles, nous devons nous préparer en fonction des nouvelles caractéristiques connues de la menace sismique dans le pays.

(1)https://lenouvelliste.com/article/194892/pourquoi-la-terre-tremble-chez-nous

(2) Saint-Fleur, N., Feuillet, N., Grandin, R., Jacques, E., Weil‐Accardo, J., & Klinger, Y. (2015). Seismotectonics of southern Haiti: A new faulting model for the 12 January 2010 M7. 0 earthquake. Geophysical Research Letters, 42(23), 10-273.

(3) Saint-Fleur, N., Feuillet, N., & Klinger, Y. (2019). Active tectonics along the Cul-de-Sac–Enriquillo plain and seismic hazard for Port-au-Prince, Haiti. Tectonophysics, 771, 228235.

(4) Symithe, S., & Calais, E. (2016). Present-day shortening in Southern Haiti from GPS measurements and implications for seismic hazard. Tectonophysics, 679, 117-124.

Newdeskarl Saint Fleur source Le Nouvelliste