Digicel et Natcom interdits d’entrer à Belvil

Les antennes-relais des compagnies de téléphone sont depuis longtemps sujets à controverse, même dans le milieu scientifique. En Haiti, le quartier de Belvil refuse que des antennes soient implantées dans la zone. Les habitants croient qu’elles sont cancérigènes

Il est impossible de ne pas remarquer au moins une antenne-relai sur sa route, quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le pays. Elles sont utilisées tant par les compagnies de téléphone que par les stations de radio ou de télé.

Mais sur la route de Frères, non loin de Pétion-Ville, les habitants d’un petit village font de la résistance. Ils ont décidé de bannir les antennes-relais de leur environnement. A Belvil, quartier huppé de Port-au-Prince, les compagnies de téléphonie mobile Digicel et Natcom ont la vie dure.

Antenne de téléphonie mobile. Photo: Ayibopost / Frantz Cinéus

Selon Yvon Jean-Pierre, président du comité de gestion de Belvil, il s’agit avant tout d’une question de santé. « Les gens ont une peur bleue des antennes, dit-il. Ils croient qu’elles causent le cancer et toutes sortes de maladies, alors ils n’en veulent pas. 95% des habitants de Belvil refusent toute antenne dans les parages. Nous avons plusieurs fois été approchés par la Digicel. Mais nous pensons qu’il serait mieux qu’ils installent leurs antennes à Bellevue, en dehors de Belvil.»

Le comité de Belvil, au nom des habitants, a récemment intenté un procès à la Natcom, qui avait réussi à installer une antenne dans la zone. « Le procès est encore en cours, informe Yvon Jean-Pierre. Les tribunaux étaient fermés récemment, donc il reprendra probablement en octobre. Nous voulons qu’ils l’enlèvent.»

Gérard Laborde est le directeur des affaires légales et de la régulation à Digicel. Il est en charge, entre autres, de toutes les questions liées aux antennes-relais au sein de cette entreprise.

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Le directeur confirme le ressentiment des gens de Belvil qui ne veulent pas que la Digicel installe une antenne. Il comprend leur hostilité mais ne croit pas que leur démarche soit la correcte. « Ils veulent une bonne réception, mais ils ne veulent pas d’antennes, explique-t-il. Ils ont le droit de dire non, mais ils devraient nous donner d’autres solutions. Ils pourraient par exemple identifier un site dans la zone que les opérateurs pourraient louer. »

D’après Gérard Laborde, les habitants de Belvil ne veulent pas de la nuisance visuelle que peut représenter une antenne. Mais il y a divers moyens, selon lui, pour la rendre presque invisible en faisant en sorte qu’elle se fonde avec le décor.

Comment fonctionne une antenne-relai ?

Une antenne-relai est une petite boite rectangulaire, en général placée sur une structure en fer. Les antennes-relais émettent des signaux de radiofréquence (RF).

Tout dépend de la technologie, elles utilisent des fréquences spéciales. La 2G, la 3G ou la 4G ont des fréquences différentes, qui augmentent à chaque nouvelle technologie. Lorsque les fréquences sont élevées, les puissances sont plus petites.

Il faut donc multiplier les antennes. Pour une bonne couverture en 4G par exemple, il faut un nombre supérieur d’antennes. En zone urbaine, selon Gérard Laborde, il y a plus d’antennes dans moins d’espace, pour éviter la congestion.

Lorsqu’on place un appel, qu’on envoie un SMS, qu’on utilise internet, le téléphone cellulaire émet des signaux également. Et même lorsqu’il n’est pas en cours d’utilisation, l’appareil cherche constamment à se connecter à l’antenne la plus proche. C’est un va-et-vient constant.

Antenne de téléphonie mobile. Photo: Ayibopost / Frantz Cinéus

Selon Gérard Laborde, il faut toujours un équilibre entre le signal du téléphone et celui de l’antenne. Plus le signal de l’antenne est éloigné du téléphone, plus le téléphone devra augmenter sa puissance pour se connecter. Il émettra donc plus de radiations. C’est une opération automatique qui a des répercussions considérables sur l’autonomie de la batterie du cellulaire.

Comme les habitants de Belvil n’ont pas une bonne réception cellulaire, leurs téléphones dépensent plus d’énergie et émettent à une plus grande puissance. Théoriquement, en refusant les antennes à l’intérieur de leur communauté, ils subissent les mêmes effets qu’ils veulent éviter.

Et que dit la science ?
Selon certaines études, les ondes des cellulaires et des antennes-relais ont un impact sur la santé des populations. Une étude polonaise, réalisée en 2004, a conclu que la proximité des antennes modifiait sensiblement le comportement physiologique des gens. Manque de sommeil, dépression, nausées, perte d’appétit et maux de tête, ce sont autant de malaises qui les tracassaient. En Égypte, en 2005, une autre étude avait présenté des résultats similaires.

En vrai, il existe des centaines de recherches qui présentent les mêmes conclusions. Certaines vont plus loin encore. Le 1er novembre 2018, le National Institute of Environmental Health Sciences, a publié le rapport d’une étude conduite pendant 10 ans sur des rats. Le résultat est sans appel : les rats, exposés à de très hauts niveaux de signaux RF utilisés dans la 2G et la 3G, ont développé des tumeurs cancéreuses au cœur.

Si ces résultats sont alarmants, d’autres études montrent au contraire que rien n’est certain. La American Cancer Society affirme que « [les signaux de radiofréquence] n’endommagent pas l’ADN des cellules du corps humain. A de très hauts niveaux, ces signaux peuvent produire de la chaleur, mais la quantité d’énergie utilisée par les antennes et les téléphones est beaucoup plus faible. »

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Gérard Laborde affirme lui aussi que les émissions des antennes-relais sont trop faibles pour causer des dommages. « Les gens se soucient des antennes de téléphone, dit-il, mais ils oublient celles des stations de radio et de télévision. Celles-là émettent à des puissances bien plus fortes. Il suffit de lever la tête vers Boutilliers pour se rendre compte comment elles sont nombreuses».

Les fours à micro-ondes (microwaves) sont aussi connus pour émettre plus de signaux que les téléphones portables ou les antennes. C’est grâce à cette énorme quantité d’émission qu’ils peuvent produire assez de chaleur pour chauffer les aliments.

Antenne de téléphonie mobile. Photo: Ayibopost / Frantz Cinéus

Il existe des régulations
Il existe des limitations quant à la quantité de puissance que peut produire une antenne. La Federal Communications Commission (FCC) aux Etats-Unis, ou encore les organismes de régulation d’autres pays comme le Canada, ou encore de l’Union européenne, préconisent des seuils d’émission très bas. Le Conatel, l’organisme de régulation en Haïti, prévoit comment une antenne peut être installée.

Il est techniquement possible que les compagnies augmentent légèrement la puissance des signaux venant des antennes.

Mais la Digicel ne le fait pas selon, Gérard Laborde. « Nous n’avons pas intérêt à installer une antenne qui soit trop puissante, dit-il. Si on a plusieurs sites, ils ne doivent pas interférer les uns avec les autres. Il y a une limitation par rapport aux appareils que nous utilisons. Ils sont déjà calibrés par le fabricant et on ne peut pas augmenter leur puissance. Il y a aussi des limitations par rapport aux téléphones, qui ont des fréquences à respecter. »

Source: Ayibopost