La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif d’Haïti peut-elle payer le prix de l’amateurisme politique de nos dirigeants


Je n’imagine pas qu’un président de la République d’Haïti puisse, un jour, oser demander à une instance internationale de faire ou refaire un audit administratif et financier en lieu et place d’une institution régalienne d’Haïti chargée de cette question comme la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif ( CSC/CA).

Le dictionnaire Larousse définit le mot audit: « une expertise professionnelle effectuée par un agent compétent et impartial aboutissant à un jugement par rapport à une norme sur les états financiers, le contrôle interne, l’organisation, la procédure, ou une opération quelconque d’une entité ».

De surcroît, un audit administratif et financier ouvre le plein droit aux auditeurs de questionner les audités, de pénétrer leurs espaces administratifs, d’avoir accès à leurs dossiers administratifs et financiers, documents confidentiels, entre autres. De plus, c’est la loi qui détermine l’instance compétente de l’audit (Titre VI, Ch. II, art. 200 et suivants, Constitution du 29 mars 1987 amendée, Le Moniteur No 96 du mardi 19 juin 2012; décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la CSC/CA, Le Moniteur No 24 de l’année 2006).

Comment peut-on imaginer qu’un Chef d’État, responsable de la sécurité des Haïtiens et garant des institutions publiques, puisse penser à les substituer par d’autres institutions internationales dirigées par des Étrangers?

Comment peut-on imaginer le transfert des compétences juridictionnelles de la CSC/CA d’Haïti à une juridiction de l’ Organisation des États Américains (OEA) par une simple démarche présidentielle? C’est là que doit commencer la mission des conseillers du président pour lui définir les notions telles que la compétence de l’instance auditrice, la procédure tracée par la loi haïtienne et la norme établie par la loi fondamentale d’Haïti en la matière.

Une instance régionale comme l’OEA a-t-elle la compétence de s’immiscer dans les affaires administratives et financières d’un Etat pour agir à la place de ses institutions responsables de ces affaires (audit des fonds publics) conformément à la loi? Par quelle procédure cette démarche sera-t-elle possible? En fonction de quelle norme ? Là encore, les conseillers en droit public et droit international public du président de la République d’Haïti doivent l’aider à répondre aux susdites interrogations afin d’agir dans l’intérêt national et d’éviter des erreurs historiques.

La démarche de notre président pour remplacer la Cour des Comptes par l’OEA dans le cadre de l’audit spécial sur les dépenses du fonds petrocaribe, est inédite. C’est du jamais vu dans une République indépendante. Cela pourra avoir des conséquences politiques et diplomatiques désastreuses pour notre génération future. Si par malheur, ce scénario arrive, un jour, à être possible, Haïti cessera d’être une République à part entière aux yeux du monde même quand cela ne s’écrirait nulle part. Tout le monde dira qu’il n’y a plus de femmes et d’hommes compétents en Haïti pouvant mener à bien même un audit.

À mon avis, ce ne sont pas les conseillers de la CSC/CA qui font les audits, mais ce sont des techniciens haïtiens formés en Haïti et à l’étranger. Cela dit, discréditer ces cadres haïtiens qui ont réalisé cet audit sur les dépenses du fonds petrocaribe de 2008 à 2016, c’est avilir et vilipender la gent intellectuelle haïtienne ainsi que nos écoles et nos universités.

Si on continue sur cette lancée, un jour, les autres États pourront ne pas accepter les diplômes haïtiens, du diplôme du baccalauréat à ceux délivrés par nos universités. Ils auront alors raison, car nos centres universitaires ne sont mêmes pas en mesure de fournir des cadres qui soient à même de faire un Audit.

Toutefois, en tant que président de la République, à mon sens, il disposerait du droit de vérification de l’audit réalisé par qui que ce soit, mais avec des instances nationales, soit par une commission spéciale ou par d’autres mécanismes créés en la circonstance en accord avec les instances compétentes et les secteurs de la vie nationale. Là encore, cela ne sera pas possible sans la confiance de la population.

Port-au-prince, le 15 juillet 2019.

Joram Vixamar,
PhD.Docteur en droit public,
Université Rennes 2
Membre du Laboratoire le LiRIS