Les Etats-Unis de Donald Trump et la crise politique haïtienne de l'ère Jovenel Moïse: une diplomatie calculée de “lèse grennen” et de jeu de dupes

La majorité des Haïtiens en général persistent à croire que les Etats-Unis peuvent jouer un rôle déterminant dans la résolution ou la non-résolution de la crise dans laquelle le pays continue de s’enfoncer au cours de la présidence de Jovenel Moise.

Le président Jovenel Moïse, depuis les protestations violentes du 5-6-7 juillet 2018 à cause d’une tentative du gouvernement d’augmenter les prix de l’essence, n’a pas prouvé  sa capacité à répondre à la crise multiforme de gouvernance qui déstabilise le pays.

Une crise interne agonisante

Le pays agonise à tous les points de vue. Sur le plan économique, l’inflation est de l’ordre de 20,3%  accompagné d’un niveau de croissance en dessous de 1%, soit entre 0,6% et 0% d’après une note

de la Banque de la République d’Haiti (BRH) publiée au cours du mois de novembre 2019. Sur le plan politique, Haïti fonctionne sans gouvernement ou sans premier ministre depuis mars 2019. Au niveau de l’insécurité, les bandits imposent leur loi de la jungle dans tous les coins du territoire national face à un État réduit en peau de chagrin. La répression, les massacres contre les quartiers populaires sont devenus la formule de prédilection d’un léviathan venimeux. La colère populaire contre Jovenel Moïse et le pouvoir en place a atteint son paroxysme au cours du dernier long épisode tragique de “peyi lòk”. Le pays est barricadé de partout, même le président, “louloup louloup eyappa, e eyappa”, saute des barricades pour se rendre au Palais national.

En plus de l’opposition politique traditionnelle et les PetroChallengers, presque tous les autres secteurs de la vie nationale réclament le départ du président. Pendant que l’opposition politique a réussi le rare tour de force de se rallier et produire l’accord de Marriott pour parvenir, comme ils disent, à un “ départ ordonné” du président, ce dernier montre ses muscles face à  des oligarques locaux dans une affaire juteuse de contrats d’électricité. Pour le président, c’est le seul sujet sur lequel tout le monde doit se concentrer 24h/24. Entre temps, la lueur d’espoir pour sortir véritablement de la crise reste sporadique et incertaine.

Les duperies de la diplomatie américaine “ lèse grennen”

Dans cette situation, le regard est tourné vers Washington pour trouver une issue à la crise. Le poids des Etats-Unis dans la politique intérieure d’Haïti est indéniable. En fait, dès le début du XXe siècle, notamment à travers l’occupation américaine (1915-1934) avec ses  conséquences destructrices, pour reprendre Dantès Bellegarde, sur les “ forces morales supérieures” de la nation, l’hégémonie américaine” a pris le relais de  la “ prépondérance française” dans la politique interne d’Haïti. Depuis lors, l’influence américaine est une constante dans la politique haïtienne. L’Oncle Sam calibre son support aux dirigeants en fonction de ses intérêts stratégiques ou géopolitiques.

Ainsi, la dictature duvaliériste a joui de la bénédiction de Washington à cause de la position anticommuniste du régime duvaliériste pendant la période de la guerre froide.  Les défis internes du pays sont secondaires par rapport aux impératifs stratégiques et géopolitiques de notre grand voisin. L’appui  accordé à Jovenel répond ainsi à un impératif géopolitique de la situation post guerre froide et du nouvel ordre mondial multipolaire.  Le Venezuela est un symbole important de la résistance à l’influence américaine dans la région et ses alliances avec la Chine ou surtout la Russie permettent à ces acteurs  d’étendre leurs tentacules dans la sphère d’influence américaine. La guerre froide ne s’est pas complètement refroidie; ” le passé n’est jamais totalement dépassé”, ajouterait Leslie Manigat. Par son vote contre le régime de Maduro, le président haïtien avait démontré qu’il s’aligne sur la politique américaine dans la région. En échange, peu importent les griefs du peuple haïtien contre son gouvernement, l’administration en place peut compter sur  l’administration du président Trump pour continuer son petit bonhomme de chemin.

Pour masquer son manque d’intérêt véritable envers la crise haïtienne, les Etats-Unis ont envoyé au moins deux représentants au cours de l’année pour rencontrer différents acteurs de la scène politique haïtienne. Le sous-secrétaire David Hale en mars dernier ou Kelly Craft, la représentante permanente des Etats-Unis aux Nations Unies au cours du mois de novembre ont utilisé la langue de bois diplomatique en insistant sur le dialogue ou la démocratie, mais en réalité ils étaient  là  pour faire passer le temps et appliquer une diplomatie savamment calculée de lèse grennen.  Un véritable jeu de dupes.  Au fond, la résolution de la crise haïtienne est le cadet des soucis de l’administration de Donald Trump. La politique étrangère américaine à l’heure actuelle est dominée par la vision américaine isolationniste et exceptionnaliste de la doctrine America First prônée et embrassée par Donald Trump.

Dans ce cas, les problèmes internes d’un pays nègre vu comme une “ entité chaotique ingouvernable”  ne représentent pas une priorité, même secondaire de la puissance américaine. À leurs yeux, nous ne sommes même pas un Etat véritable digne d’intérêt. Pire qu’un “ junior partner”, nous sommes un “ failed state”. Nous ne prendrons de l’intérêt à leurs yeux qu’à condition de nous efforcer à créer un Etat viable, “ car lorsqu’en ce cas une puissance quelconque aura un intérêt à débattre avec nous, elle y mettra la forme et la conscience dont elle use avec tout pays en pleine possession de sa souveraineté”, insistait Anténor Firmin. 

En vérité, les acteurs externes ne sont pas placés pour résoudre nos défis internes et complexes. Il s’agit pour le pays de prendre “ la pleine conscience de sa destinée”,  “en tant que nation indépendante”. La liberté ou souveraineté comporte des risques et des  coûts qu’il nous faut assumer en tant que nation. Leslie Manigat exprime cela en des termes lucides: “ L’indépendance politique signifiait pour Haïti un droit d’initiative, même limité, et la possibilité, bon gré mal gré, de l’exercer et donc de fausser le simple jeu du rapport de forces en introduisant une inconnue: l’option personnelle des dirigeants et du peuple haïtiens, leur vision propre des choses, leur évaluation du rapport réel des forces.” Fallait-il que ces dirigeants soient en premier lieu motivés par la défense de l’intérêt national et possèdent la capacité réelle de gouverner. 

Une classe politique mature et autonome pour résoudre les conflits et défis internes

Il ne s’agit pas de diaboliser non plus la communauté internationale, mais c’est à nous  d’atteindre le niveau de maturité nécessaire pour gouverner notre propre pays. Le père de la nation, Jean Jacques Dessalines, le résumait ainsi: “ Nous avons osé être libres, osons l’être par nous mêmes et pour nous-mêmes.” La classe politique haïtienne doit apprendre à résoudre les conflits politiques internes avec ses propres moyens en cherchant désespérément à préserver l’intérêt national.

La pratique malsaine de s’appuyer sur l’étranger pour martyriser son propre peuple maintient le pays dans le cercle vicieux de nation parasitaire au sein de la communauté internationale. Dans nos rapports inégaux avec les puissants du monde, les dirigeants haïtiens doivent habilement et consciemment trouver la “ marge de jeu” qui leur permettra de faire respecter bon gré mal gré les intérêts d’Haïti.  Mieux, le peuple haïtien dans son ensemble doit exercer une nouvelle sagacité en évitant à répétition de porter au pouvoir des “ antinationaux” qui s’acoquinent avec les adversaires historiques du pays pour nous maintenir dans la dépendance et la misère. 

 

Joseph Wendy Alliance

 

 

Références:

 

  1. Manigat, Leslie. La substitution de la prépondérance américaine à                                la prépondérance française en Haïti au début du                                                       XXe siècle: la conjoncture 1910-1911. Revue d’histoire Contemporaine. Octobre-Decembre 1967.
  2. Firmin, Anténor. M. Roosevelt, president des Etats-Unis, et la République d’Haïti. 1905.  
  3. “>http://maginfos.over-blog.com/2019/11/haiti-economie-pas-de-croissance-economique-en-vue-pour-haiti-en-2019-note-la-brh.html
  4. “>https://www.monde-diplomatique.fr/1971/06/MANIGAT/30336
  5. Sachs, Jeffrey.D. A New Foreign Policy: Beyond American Exceptionalism. Columbia University Press, New York, 2018.
  6. “>https://www.telesurenglish.net/news/Haitians-Reject-Visit-of-US-Representative-as-US-Interference–20191121-0018.html