Les étudiants haïtiens enrichissent les universités dominicaines

Les étudiants haïtiens représentent un apport financier considérable pour la République Dominicaine. À la fin de leurs études, nombreux sont ceux qui ne reviennent pas en Haiti

Besley Victor entreprend des études en médecine depuis tantôt 6 ans en République Dominicaine. Il dépend exclusivement de ses parents qui vivent en Haïti pour ses dépenses. «J’ai tenté de travailler à deux reprises. Cela n’a pas marché. À cause des lourdes charges académiques, je n’arrive pas à combiner [boulot et université]». Régulièrement, ses parents lui envoient de l’argent pour les frais académiques, la nourriture et l’hébergement.

Besley Victor fait partie de ces milliers de jeunes haïtiens qui, chaque année, quittent le pays pour entamer des études universitaires au-delà de la frontière.

En 2013, ils étaient 20 000 Haïtiens selon l’économiste Harold Joseph Pierre qui a lui-même étudié l’économie à Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra (PUCMM) en RD. Cette année, les étudiants haïtiens représentaient 70 % de l’ensemble des étudiants étrangers en RD et 40 % de l’ensemble des étudiants en Haïti. Quatre ans plus tard, un rapport de l’Observatoire binational sur la migration, l’éducation, l’environnement et le commerce (OBMEC) porte à 40 000 le nombre d’étudiants haïtiens dans les universités dominicaines.

L’Université d’État en RD peut accueillir 120 000 étudiants. En comparaison, l’Université d’État d’Haïti (UEH), la plus importante en Haïti en termes de capacité d’accueil, compte seulement 13 000 étudiants et quelque 700 professeurs.

À l’UEH, la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) demeure l’entité qui reçoit le plus grand nombre de postulants dans son concours d’admission. Cette réalité se prolonge en RD puisque la moitié des étudiants haïtiens, selon Harold Joseph Pierre, y fait des études en médecine. Le reste s’éparpille entre l’ingénierie, les sciences administratives…

Un transfert de capital important

Le transfert de capitaux depuis Haïti vers la république voisine pour les étudiants haïtiens s’en va grandissant. En moyenne, les parents haïtiens paient 220 millions de dollars américains par année pour financer les études de leurs enfants en République Dominicaine, selon le rapport de l’OBMEC.

Ce chiffre représente environ 12 % du projet de loi de finances 2018-2019 et dépasse légèrement le montant alloué à l’éducation. Aussi, la somme transférée par année en terre voisine est 2,7 fois supérieure à celle en provenance de la diaspora haïtienne vivant dans l’autre partie de l’île. «Les transferts haïtiens en provenance de la République Dominicaine sont estimés à près de 80 millions de dollars en Haïti», fait savoir Harold Joseph Pierre qui a également enseigné l’économie à Pontífica Universidad Católica Madre y Maestra (PUCMM).

Pour les études supérieures en République dominicaine, l’année académique comprend trois cycles. Chaque cycle d’études équivaut à quatre mois. Le coût de chaque cycle dépend de la quantité de crédit que vaut le nombre de cours choisi.

Certaines entités offrent la possibilité de payer mensuellement. « À raison de cinq cents pesos (dominicain) par crédit, un montant de quinze mille pesos (150 $ US) est requis pour un cycle d’étude de 30 crédits », explique Besley Victor, étudiant en sixième année de médecine à l’Universidad Tecnologica de Santiago. Il ajoute que les montants ne sont pas les mêmes pour toutes les filières.

La maman de Victor est commerçante dans la ville du Cap-Haïtien et son père, un fonctionnaire de l’État. Il estime recevoir environ 400 dollars américains comme frais mensuels de ses parents. Ce montant lui permet de payer le logement et de s’entretenir durant le mois. Il habite avec sa grande sœur qui, elle aussi, étudie en RD.

La crise haïtienne demeure évidente

La situation de Besley Victor se diffère de Jordan Joseph. Ce dernier fait des études en administration (administracion de empresas) en terre voisine. Ce jeune couturier haïtien a décidé de quitter le pays en octobre 2016. « J’étais fort inquiet pour mon avenir en voyant le devenir de la quasi-totalité des gens de mon quartier. Dès lors, j’ai décidé de faire d’autres expériences pour cadrer ma vie. »

Agé de 24 ans, Jordan Joseph affronte seul le quotidien en République voisine. Il travaille comme couturier à Loco moda et gagne 15 000 pesos dominicains le mois. « Je paie mensuellement 3 200 pesos pour mes études à l’Universidad Dominicana OyM et 2 000 pour comme frais de logement », ajoute-t-il.

De loin, les jeunes haïtiens observent la réalité sociopolitique et économique d’Haiti. « Je ne m’attendais pas à ce que Haïti soit, dans un laps de temps, dans une situation économique aussi dégradante. En 2013, 19 000 pesos (dominicain) valaient environ 22 000 gourdes. Ce même montant aujourd’hui équivaut à près de 34 000 gourdes », se plaint Victor.

La RD à défaut des Etats-Unis ou de la France

Le territoire voisin constitue une option par défaut pour de nombreux responsables de famille en Haïti. « Si les Haïtiens pouvaient envoyer leurs enfants étudier dans des pays comme la France, les Etats-Unis ou le Canada, ils le feraient. Les conditions économiques ne les permettent pas, voilà pourquoi ils font le choix de la RD », estime Harold Joseph Pierre.

En termes de modernisations des universités, la RD dépasse de loin l’offre haïtienne. « Quelqu’un qui étudie l’ingénierie ou les sciences administratives en République dominicaine est compétitif sur le marché latino-américain, argumente le professeur. En revanche, les approches techniques se diffèrent dans ces filières en Haïti. On est à un certain niveau trop théorique. »

L’instabilité qui règne en Haïti engendre fort souvent des discontinuités dans les cycles d’études. « En dépit de tout, je vais avoir 7 ans en RD, mais je n’ai jamais perdu une journée d’étude à cause de l’instabilité », se réjouit Victor.

L’intégration du marché n’est pas chose facile

Les études bouclées, s’amène l’impératif d’intégrer le marché du travail. Le savoir acquis n’est pas toujours adapté à la réalité haïtienne. « Les pathologies se diffèrent d’un pays à l’autre » constate Besley Victor. Les pathologies en République Dominicaine ne sont pas forcément les mêmes en Haïti ».

Rester travailler en République dominicaine n’est pas non plus la meilleure option.  « Les dirigeants font tout pour intégrer les fils du pays afin d’avoir leurs propres citoyens dans leur système », observe Besley Victor. Aussi, Besley Victor, envisage de se rendre à Cuba ou en Espagne afin d’effectuer une spécialisation.

Par ailleurs, depuis 2010 l’on assiste à une vague de professionnels dominicains travaillant dans les secteurs techniques en Haïti. Paradoxalement, des milliers de professionnels haïtiens gradués retournent dans le pays chaque année. Leur intégration demeure difficile par manque d’opportunités et l’absence d’une politique d’intégration sur le marché.

Certains se trouvent obligés de repartir vers d’autres cieux, en quête de débouchés. 85 % des professionnels haïtiens se trouvent à l’étranger, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) et la Banque interaméricaine de développement (BID). Du coup, Haïti serait le plus grand exportateur de cerveaux dans l’Amérique latine.

Haïti serait le plus grand exportateur de cerveaux dans l’Amérique latine.

Harold Jean Pierre pense qu’il faut profiter des acquis techniques et pratiques de ces diplômés en terre voisine pour le développement d’Haïti. « L’État haïtien doit exploiter ces gradués pour améliorer l’administration publique et moderniser les entreprises privées. De plus, continue le spécialiste, l’État haïtien et l’élite haïtienne doivent tout faire pour améliorer l’offre des universités en Haïti. Ce, « afin de garder des millions de dollars dépensés ailleurs chaque année pour des études supérieures de la plupart de nos jeunes. »

Photo couverture : Université Catholique de Santo Domingo 

Source: Ayibopost