La prostitution n’a toujours pas de statut légal en Haïti

Les maisons closes où travaillent les prostituées sont nombreuses en Haïti. D’autres travailleuses préfèrent  fonctionner à même la rue. Mais qu’est-ce que la prostitution ? Quel est son statut légal en Haïti. Daniella et Joseline, deux prostituées de la grand-rue, confient à Ayibopost certains coulisses du métier.

La prostitution implique tout rapport sexuel sur base de rémunération. C’est pourquoi,  certains la conçoivent comme un commerce. D’autres le considèrent même, à tort ou à raison, comme le plus vieux métier du monde. Des écrits très anciens, comme l’épopée de Gilgamesh, témoignent de l’existence lointaine de cette pratique.

En Haïti, la prostitution est un phénomène visible, mais on en parle peu. Les rares fois où l’on en parle, c’est pour stigmatiser les acteurs du phénomène prostitutionnel. Daniella, une prostituée de la Grand rue, avoue que les passants la respectent peu à cause de son métier. Mais elle garde son travail par nécessité, en dépit de toute stigmatisation.

Joseline quant à elle, après avoir étudié la technique bancaire et le secrétariat, a choisi de devenir prostituée afin de gagner beaucoup plus d’argent. « Mon métier n’est pas comme les autres, mais peu importe ce que les gens disent, i don’t really care. It’s business », mentionne-t-elle avec un accent espagnol.

Un phénomène très complexe

La prostitution est un phénomène complexe. Cela s’explique en raison de sa constante évolution. En effet, elle prend avec le temps de nouvelles formes. Par exemple, il existe aujourd’hui la prostitution online, la prostitution sous forme de salons de massage, etc. En Haïti, le phénomène madan-papa est la manifestation principale de son évolution. De plus, si la prostitution des femmes a attiré beaucoup plus l’attention, on assiste de plus en plus à la monté de la prostitution masculine.

Ce qui rend également complexe la prostitution est le fait qu’elle donne lieu à des conceptions très opposées. Certains la considèrent comme une violation des droits humains, tandis que d’autres la voient comme la manifestation du principe d’autodétermination de la personne humaine. En ce sens, Daniella et Joseline pensent que le chômage est la principale raison qui pousse des jeunes filles à se prostituer. Elles affirment, toutefois, que personne ne les a obligées à pratiquer le métier et ne considèrent pas la prostitution comme une violation de leurs droits fondamentaux.

Daniella et Joseline travaillent toutes deux au boulevard Jean-Jacques Dessalines (Grand rue). Chacune d’elle occupe un côté de la rue. Daniella loue une pièce juste pour faire son « commerce », et Joseline est membre d’une maison close où elle paie une chambre pour deux milles gourdes le mois. Pour protéger l’immeuble où travaille Joseline, des agents de sécurité sont installés à l’entrée.

Cent cinquante gourdes est le prix minimum qu’un client doit payer pour passer un « moment » avec Daniella. Toutefois, ce prix peut varier en fonction des positions requises par le client. « Il faut avoir au moins 750 gourdes pour beneficier d’un backchat (la levrette)», confie Daniella. Joseline quant à elle affirme fièrement qu’elle gagne plus de 28 000 gourdes le mois.

En dépit de l’évolution des pratiques sexuelles en générale et de la prostitution en particulier, certaines pratiques sont interdites dans les maisons closes de la Grand rue. Par exemple, Daniella et Joseline disent qu’il est interdit d’entrer dans une chambre avec deux garçons ou deux filles. A croire le témoignage de Daniella et Joseline, elles n’acceptent pas des enfants dans leur clientèle. Toutefois, aucune pièce d’identité n’est requise pour pénétrer ces maisons closes. Toute prostituée doit faire un test de dépistage du VIH. En cas de séropositivité, aucune travailleuse ne sera acceptée par les maisons closes.

Avant de devenir travailleuse du sexe, Daniella travaillait comme serveuse dans une boîte de nuit. « L’avantage qu’offre mon travail de prostituée, c’est que maintenant je suis plus libre. Je n’ai pas d’horaire de travail fixe car je suis mon propre boss ». Daniella a commencé à se prostituer en 2012, mais personne de son quartier ne sait réellement ce qu’elle fait comme métier. Pas même son petit ami qui habite en Plaine et qui vient parfois chez elle à Delmas.

Que dit la loi haïtienne sur la prostitution ? 

Il n’existe aucune loi en Haïti qui traite la question de prostitution. Seule l’atteinte aux « bonnes mœurs » est sanctionnée par le législateur haïtien. Cependant, la notion de bonnes mœurs est assez floue. Pour clarifier l’expression, le Sénat de la République a voté en juin 2017, la « loi sur la réputation et le certificat de bonnes vie et mœurs » proposée par le Sénateur Jean Rénel Sénatus. La prostitution infantile ou juvénile est considérée par ladite loi comme une atteinte aux bonnes mœurs. Mais elle reste muette sur la prostitution d’un adulte. Cette loi n’est pas encore en vigueur, vu qu’elle n’a pas encore été votée par la chambre des députés ni publiée dans, Le Moniteur journal officiel du pays,.

Conséquences de la non-règlementation

Quand il s’agit de poser le problème de la réglementation de la prostitution, on distingue deux principales approches : l’approche abolitionniste et l’approche prohibitionniste. Pour les abolitionnistes, la prostitution est de l’esclavage et elle porte atteinte à la dignité humaine. Pour eux, la prostitution doit être abolie.  Cette approche considère les personnes prostituées non pas comme des délinquants, mais comme des victimes. Par conséquent, ce sont les clients et les proxénètes qui doivent être sanctionnés à titre de corrupteurs.

Selon les prohibitionnistes, à la fois les prostituées, les proxénètes et les clients sont considérés comme des criminels, et sont tous passibles de sanctions. Ces deux approches se basent essentiellement sur l’argument selon lequel c’est la misère morale et matérielle qui conduit surtout à la prostitution. Et par conséquent, il s’agit d’une industrie d’exploitation des femmes par les hommes.

Néanmoins, de tels arguments sont très réducteurs dans la mesure où ils ne permettent pas de saisir la complexité du phénomène. Ils se heurtent au principe du consentement, à la notion du respect de la vie privée, et au principe de l’autodétermination de la personne humaine.

La législation haïtienne ne s’est exprimée sur aucune de ces approches. Or la non-réglementation du phénomène prostitutionnel présente plusieurs risques tels que :

  1. Le trafic d’êtres humains : Le marché de la prostitution favorise la traite des êtres humains. Il faut donc des lois protégeant les prostituées contre les proxénètes.
  2. Propagation des maladies sexuellement transmissibles : Une loi-cadre doit permettre aux prostituées de bénéficier d’une assistance médicale continue afin d’éviter la propagation des maladies sexuellement transmissibles.
  3. Les agressions sexuelles : De nombreuses prostituées sont agressées et violées dans le cadre leur travail. Comment pourront-elles porter plainte si la loi ne se prononce pas sur leur activité ?

Toutefois, Daniella est sceptique quant aux résultats pouvant découler de la réglementation de son activité. Elle estime par ailleurs que l’Etat haïtien fragilise toutes les activités dans lesquelles il s’implique. Joseline, elle, veut rester neutre sur la question de la régularisation de la prostitution en Haïti. Néanmoins, elle affirme que si ce n’est que pour taxer son activité elle n’y voit aucun intérêt.

Ainsi, la réglementation de la prostitution par le Droit haïtien est une nécessité. Mais, cette réglementation doit se réaliser en tenant compte non seulement des différentes conceptions de la société sur le sujet, mais surtout des personnes prostituées qui sont les principales intéressées. Daniella et Joseline toutes deux mères, ne prévoient aucune date pour laisser la prostitution. Elles ne veulent pas non plus y passer toute leur vie. Elles se laissent alors guider par le destin.

Source: Ayibopost