Nous sommes des morts en sursis!

Dimanche 12 janvier 2020 ((rezonodwes.com))– Pour faire notre deuil, nous avons arrêté de nous plaindre, de protester, de critiquer, de proposer aux autorités. Nous avons du nous rendre à l’évidence que nous parlons des langues différentes. Que non seulement, ils ne comprennent ou ne se soucient pas de notre sécurité, de la leur aussi par la même occasion. Ce sont des inconscients qui pensent qu’ils auront le temps de partir à Miami ou en République Dominicaine.

La prévarication de nos dirigeants a fait de nous des morts en sursis!

Voilà 10 ans de cela, une terrible secousse a balayé notre pays et tué des centaines de milliers de gens, hommes , femmes ,enfants, bébés, civils, policiers, militaires, vodouisants, catholiques, protestants, honnêtes, criminels, hommes politiques de gauche, de droite, sans étiquette, hommes et femmes « savé », hommes et femmes illettré(es), hommes et femmes des mornes les plus reculées, les plus pauvres du pays, mais aussi hommes et femmes les plus puissants, les plus riches, habitant les plus beaux quartiers du pays. Comme un animal se débarrassant de ses puces, la terre nous a valdingué avec nos maisons et nos édifices.

Personne,
ni aucune catégorie sociale ne fut épargnée.

On
a connu l’enfer de survivre sous les masses de béton, dans les
entrailles des immeubles, estropiés à vie, physiquement et
mentalement. On a vécu une éternité dans les gravats, à la belle
étoile, sous les tentes, au point que ces dernières sont devenues
putrides.

Comment
a-t-on fait pour ne pas en tirer des leçons? Comment a-t-on fait
pour 10 ans après , revenir à une situation pire qu’avant?

Si les herbes folles ont bien poussé dans les décombres, à regarder de près, dans la capitale haïtienne, pas un endroit où on porte notre regard sans rencontrer une cicatrice du 12 janvier. Des êtres vivants, 10 ans après, vivent encore dans des tentes pourries, d’autres exposent leurs vies dans les ravines, les pentes, sur le littoral, d’autres encore habitent des immeubles fortement endommagés, d’autres ont regagné les bidonvilles où la violence des gangs tente de dépasser la violence des catastrophes naturelles.

Certains
bâtiments des beaux quartiers appartenant à des propriétaires peu
scrupuleux, ne sont réhabilités qu’en surface.

Si
un an après, on a pu sentir un frémissement avec la publication du
Code de construction, mais ce dernier fut vite relégué aux
oubliettes. La ceinture mitoyenne sur les murs, qui était la mesure
la plus respectée, s’amincit de plus en plus. On recommence de plus
en plus à construire, à qui mieux mieux, comme au bon vieux temps.
Les services des architectes et ingénieurs en bâtiment, sont
toujours aussi délaissés.

Il
n’y a ni plan d’aménagement du territoire, ni plan d’aménagement
d’aucune de la trentaine des bassins versants qui quadrillent le
territoire.

Il
n’y a pas de plan d’urbanisme, stricto sensu. Les Mairies ainsi que
d’autres organismes, tel l’OFATMA se contentent de faire payer des
taxes. Taxes, qui très souvent sont détournées. Les autorités
influents comme les Sénateurs, les députés, les Commissaires du
Gouvernement, les juges interviennent également pour éviter à
leurs amis de passer outre des raidissements des Mairies.

Les bidonvilles poussent de plus belle, comme djon-djon sur bois pourri. 10 ans, c’est largement le temps nécessaire pour absorber au moins la moitié des bidonvilles. Au lieu de cela, nous, voici avec sur les bras, le plus grand bidonville de la Caraïbe, Canaan avec tous les défis humains, sécuritaires notamment qui viennent avec.

Le laboratoire national du Bâtiment et des Travaux Publics, cantonné à Port-au-Prince, ne travaille qu’exceptionnellement sur des travaux d’envergure à financement international. Les autorités soient, ont accaparé les zones non aedificandi appartenant à l’état, ou ont fait pression sur les mairies pour les « donner  » à leurs partisans.

Le
séisme du 12 janvier 2010, reste symbolique, anecdotique même. Nous
n’avons pas formé de secouristes supplémentaires; nous n’avons pas
renforcé la protection civile, au contraire. Aucun cours dans les
écoles, aucun spot de radio-télévision ne rappelle à la
population les gestes qui sauvent, les attitudes à avoir durant un
tremblement de terre. Pire nos hôpitaux sont dans un état de
délabrement , tels qu’ils sont transformés partiellement en
mouroirs.

Des
progrès certes ont été faits sur la cartographie sismique du pays.
Nous savons , les autorités savent que nous vivons sur un gruyère
traversé de failles sismiques dont les plus importantes et connues
jusqu’ici, la failles septentrionale et la faille Enriquillo qui
accumulent de l’énergie depuis un certain temps, sont mûres et
peuvent céder à tout moment.

Nous
avons le devoir de l’annoncer à la nation, au monde entier. Si
demain, un séisme de même ampleur devait encore frapper notre pays,
nous aurons beaucoup plus de victimes. Il fera beaucoup plus de
dégâts, parce qu’ici la prévarication de nos dirigeants règne en
maitre, avec la complicité de la communauté internationale.

Nous
avons en vain essayé, à de multiples reprises, de les convaincre de
l’impérieuse nécessité d’avoir un plan national de logement . A ce
stade, nous sommes dans l’obligation de tirer la conclusion qui
s’impose: Ce n’est pas uniquement les gouvernements qui ont du mal à
prendre leurs responsabilités face aux risques majeurs encourus par
la population, c’est le système de gouvernance politique, sociale et
économique qui n’en veut pas.

En
attendant l’avènement de l’autre Haïti que nous sommes des millions
de citoyens à réclamer, à l’Observatoire du logement en Haïti,
nous continuerons à observer les pratiques du secteur, à suivre les
évolutions, de façon à apporter notre contribution citoyenne à
l’édification de la nouvelle Haïti.

Pour
l’Observatoire du logement en Haïti

Joël Jean-Baptiste
Coordonnateur de MOSOSAH-porteur du projet.