Risque sismique: Port-au-Prince déconnectée de son bassin versant

Les failles modèlent le paysage. Beaucoup de paysages observés dans les zones de failles sont souvent le résultat de séismes successifs sur ces failles.

Le golfe de Corinthe en Grèce ou la mer de Marmara en Turquie, pourtant fabriqués par des failles, figurent parmi les attractions touristiques les plus prisées. En Haïti, nous avons des exemples typiques d’objets géomorphologiques associés à la faille d’Enriquillo par exemple. Le lac de Miragoâne ou encore le morne Tapion en sont des cas probants. Toutefois, jusqu’à notre dernière étude publiée dans Tectonophysics (1), nous ne savions pas que Port-au-Prince a été déplacé d’environ 8 km vers l’ouest par la faille d’Enriquillo. Ce déplacement sur un temps géologique relativement récent doit encore nous interpeller sur l’activité de cette faille au voisinage de cette ville densément peuplée.

Avant le séisme du 12 janvier 2010, les systèmes de faille en Haïti n’étaient pas bien connus, ce qui a conduit à différentes interprétations de l’événement. Certains vont jusqu’à évoquer une théorie du complot. Pour améliorer notre connaissance sur l’aléa sismique en Haïti et à Port-au-Prince en particulier, nous avons mené une étude détaillée des failles autour de la ville. Nous avons utilisé des données de haute résolution spatiale, comme le LIDAR, et des photographies aériennes, auxquelles nous  avons ajouté des informations géologiques et des observations sur le terrain.

Étant susceptible d’être affecté par le mouvement des failles, le réseau de drainage a été analysé avec précision. Ainsi, nous avons été amené à regarder les principales rivières émanant du versant nord du massif de La Selle. Nous avons aussi regardé les bassins de ces rivières ainsi que les cônes  alluviaux associés. Le bassin versant d’une rivière étant tout espace géographique situé en amont qui alimente la rivière. Dès qu’une goutte de pluie tombe dans cet espace, elle finit sa course dans la rivière principale. Le cône alluvial ou cône de déjection se trouve à la sortie de la rivière et correspond à l’amas de sédiments de forme conique que dépose cette rivière en aval de son bassin versant.

Les rivières du versant nord du massif de La Selle se jettent soit dans la baie de Port-au-Prince, soit dans le lac Azuéï, et ont déposé de grands cônes alluviaux le long du piémont nord du massif. D’est en ouest, ces cônes alluviaux sont principalement les cônes des rivières de Fond-Parisien ou Lastik Lèwòch, Blanche, Grise, Froide et Momance, ainsi que le cône de Port-au-Prince. Il suffisait de calculer la superficie de ces cônes et celle de leurs bassins versants pour détecter une anomalie flagrante. En effet, tous les cônes présentent une très bonne corrélation avec la taille de leurs bassins versants. Ce qui est cohérent à d’autres études réalisées dans le monde dans différents contextes géologiques et climatiques. Autrement dit, les grands bassins versants déposent de grands cônes et aux petits bassins versants des petits cônes. Par exemple, le bassin versant de la rivière Grise fait 271,3 km² pour un cône de 41 km²; le bassin versant de la rivière de Fond-Parisien fait 52,2 km² pour un cône de 5,8 km². Exception faite pour le cône de Port-au-Prince (51,3 km²) qui a actuellement un tout petit bassin versant (9,2 km²) en face de lui. Ce qui suggère que ce petit bassin versant n’est pas celui qui a produit cet énorme cône.

Il se trouve que la faille d’Enriquillo passe exactement entre ce bassin versant et ce cône. L’hypothèse d’un décalage horizontal le long de cette faille devient séduisante. De par sa position, le bassin versant de la rivière Grise est le meilleur candidat à avoir généré le « paléocône » (ancien cône) de Port-au-Prince. En guise de tester cette hypothèse, nous avons procédé à une reconstitution des faits. En jonglant avec des images satellites, nous avons mis la rivière Grise en face du paléocône de Port-au-Prince comme c’était le cas avant le décalage. En faisant cela, nous avons remarqué que nous avons du même coup reconstitué le cours de la rivière Froide qui elle-même avait été décalée par la faille. Ce qui veut dire que tout le secteur a été déplacé au même moment. Ce décalage est d’environ 8 km et correspond à une vitesse de déplacement de la faille d’au moins 3 millimètres par an.

Port-au-Prince n’a pas été déconnecté d’un seul coup de son bassin versant. Pour arriver à ce déplacement de 8 km, il aurait fallu typiquement plusieurs centaines voire plusieurs milliers de séismes de magnitude 7 ou plus. Le paléocône sur lequel est construite la ville de Port-au-Prince en est un témoin privilégié. Ces nouvelles connaissances seront prises en compte dans l’évaluation de la menace sismique.

(1) Saint Fleur, N., Feuillet, N., & Klinger, Y. (2019). Active tectonics along the Cul-de-Sac–Enriquillo plain and seismic hazard for Port-au-Prince, Haiti. Tectonophysics, 771, 228235, https://doi.org/10.1016/j.tecto.2019.228235.

Newdeskarl Saint Fleur source le nouvelliste