Yo gen Marriott, nou gen Lendilòt

Ils s’appellent L’un dit l’autre, Back-Up, La famille, Au bon moment, Spurit, Coin des amis. Ce sont des hôtels situés à la Rue du Magasin de l’État prolongée et au Bicentenaire. Conçus pour recevoir des gens de tous âges, ces lieux offrent une intimité bon marché à une jeunesse qui en manque sévèrement. 

Un couple, une vingtaine d’années, se présente à la Famille Hôtel pour prendre une chambre. « Mesye nou anfòm? 1» L’homme salue le responsable.  La femme, timide, s’avance rapidement. « Ah oui on se maintient », répond le gérant de l’hôtel, « il y a une chambre libre pour toi.» Sans un mot, les clients se rendent dans la chambre indiquée. Une scène hôtelière d’une banalité confondante. C’est cette même ambiance qui règne dans les six établissements que nous avons visités à la Rue du Magasin de l’État prolongée et au Bicentenaire. Dans ces établissements on ne passe jamais la nuit (sans doute pour des raisons d’insécurité) et on y vient que pour faire l’amour. Si vous pensez passer un séjour à Port-au-Prince, vous n’êtes pas les bienvenus. Les hommes sont obligés de venir avec leur partenaire, car il n’y a pas de filles sur place, ils n’admettent pas la prostitution.

Pour 100 gourdes au minimum, on a droit à une chambre pour une heure. Sans parking ni climatisation, sans wifi ni piscine, ne disposant d’aucun équipement luxueux, ils se font appeler hôtels. Pour les responsables, un hôtel est exclusivement un espace offrant des chambres pour faire l’amour. « Depi ou pale de otèl, ou wè fè bagay 2», déclare Gaétan Muscadin, propriétaire de L’un dit l’autre hôtel, le plus ancien parmi les six. On doit signaler que M. Muscadin a laissé son emploi à la mairie de Port-au-Prince pour s’adonner aux business d’hôtels qu’il dit très rentables.

Les chambres des hôtels sont propres mais très exiguës, pour la plupart. Elles ont le même type d’ameublement : un lit pas confortable du tout, une table avec un peigne et un miroir dessus, une serviette, un récipient rempli d’eau. Avec un peu d’éclairage, le client a tout pour un moment de plaisir. Certaines chambres (les plus chères) ont une petite douche à l’arrière. Le coin des amis est le seul d’entre les six à avoir des extincteurs, des fleurs et des tableaux dans toutes les chambres. Les hôtels fonctionnent de 5 heures du matin à 11 heures du soir. Quand on s’y présente, la première chose qui nous frappe à l’œil est la patente affichée sur le mur du bâtiment ; elle est délivrée par la direction des Affichages de la Mairie de Port-au-Prince.

Les hôtels de bon marché, unealternative pour les jeunes

Ces hôtels sont une aubaine pour les jeunes qui n’ont pas beaucoup d’argent. Ceux-ci ne voient qu’à la télé des jeunes comme eux ou plus jeunes disposer de leur propre chambre. On sait que dans quelques quartiers pauvres à Port-au-Prince, une famille de cinq personnes peut habiter une seule et même chambre. Ce qui empêche toute rencontre voluptueuse. Les jeunes peuvent aussi subir des représailles des voisins : quand on rentre avec quelqu’un du sexe opposé dans un quartier populaire tout le monde vous surveille. Dans de telles circonstances, les jeunes se cachent quand ils veulent expérimenter une  jouissance sexuelle. C’est le cas de *Philippe, étudiant en Histoire et en Droit qui habite la Quatrième Avenue  Bolosse  avec sa fratrie.

L’originaire de l’Artibonite se rend souvent à Pétion-Ville, chez un ami dont la maison est grande chaque fois qu’il a besoin de passer un moment intime. « Quand je vais chez mon ami avec une fille, si elle n’est pas  ma petite amie, je ne peux pas lui dire que je n’ai pas d’appartement. Je lui dis que c’est la maison d’une tante qui ne vit pas en Haïti. » Ce faisant, Philippe veut montrer à la fille que bien qu’il vit à la Quatrième Avenue, il a de la parenté de haut rang. Du coup, la fille peut le prendre plus au sérieux.

Tout le monde n’est pas comme Philippe  qui a un ami qui habite un appartement confortable. Ainsi, certains jeunes (ceux qui n’ont  peur de s’attirer des embrouilles) vont  jusqu’à utiliser des salles de classe ou  des toilettes de l’école, ou de la faculté fréquentée pour se vouer à un plaisir sexuel. Il y en a qui se servent la nuit des espaces libres en dessous des escaliers, la rue et les corridors pour s’envoyer en l’air. Certains se rendent dans les milieux qu’ils appellent couramment BRH (Bar, restaurant et hôtel), offrant une salle de danse et des lits pour cinq cent gourdes au minimum. Alors que d’autres (les petites bourses) n’ont accès qu’aux hôtels de bon marché.

La morale face à ces hôtels

Ces établissements ne sont pas fréquentés par les riverains de la zone où ils se situent. Les gens qui habitent la rue du magasin de l’État prolongée vont au bicentenaire ou dans un autre quartier offrant le même service et vice versa.  C’est une question de moralité, l’entourage ne doit pas être au courant de vos activités sexuelles, c’est du moins ce que les responsables des hôtels nous ont déclaré. Ce qu’a confirmé un jeune qui, jadis, travaillait à L’un dit l’autre. « J’aime l’hôtel L’un dit l’autre parce qu’ils m’ont embauché. Pandan lèzot gen Marriott anwo,nou menm nou gen Lendilot nou anba isi3 », déclare-t-il avec une voix joviale.

Les hôtels ne sont pas appréciés par certains parents. Une dame d’une cinquante d’années a montré son dégoût vis-à-vis de ces derniers : « Yo ap fè afè pa yo m ap fè afè pa m4. » La dame semble s’inquiéter beaucoup plus pour ses filles de fréquenter ces espaces plutôt que ses garçons.  Les parents moralistes des quartiers précaires haïtiens n’ont peut-être aucune idée de l’endroit où leurs filles ont connu leur premier baiser voire du lieu où elles ont perdu leur virginité. En tous cas, ces hôtels continuent d’exister dans le pays et ne cessent de prospérer dans le secret.

Laura Louis

Photos: Georges Harry Rouzier