Des habitants de La Saline devenus réfugiés sur la Place d’Italie

Des dizaines de familles fuyant l’insécurité de La Saline se sont réfugiées, depuis novembre 2018, sur la Place d’Italie. Les massacres qui ont eu lieu dans cette zone et les affrontements répétés entre gangs rivaux pour le contrôle du marché de la Croix-des-Bossales sont les causes de leur délogement. S’érige à Port-au-Prince un nouveau campement où s’abritent des gens dans des conditions d’extrême vulnérabilité.

Depuis huit mois, la Place d’Italie est devenue le refuge de gens venus de La Saline. Craignant la terreur instaurée par les bandits, ces ménages ont abandonné leur train de vie et leurs demeures respectives pour s’accommoder à une nouvelle vie. Des tentes de fortune faites de tôles usagées, de drap, de bâches en plastique érigées par ces déplacés eux-mêmes leur servent de toits.

Mardi, déjà 10 heures passées de 33 minutes, Jocelyne, une sexagénaire nous raconte sa nouvelle vie. Elle tente de fixer une bâche en plastique sur la tente qui abrite aussi Jocelyne, sa fille et ses deux petits-enfants. Visage crispé, air  désespéré, elle se présente comme l’une des marchandes de la zone Nan Chabon, à La Saline.

L’insécurité dans ses conséquences

L’insécurité que vivent ces habitants venus de La Saline se caractérise surtout par l’inquiétude d’un éventuel danger qu’ils essaient d’éviter à tout prix. «Les conflits entre les gangs armés de Nan Chabon et de Kafou Labatwa nous ont fait fuir la zone», clame Jocelyne. Elle dit avoir appris que sa maison avait été incendiée par des bandits de Kafou Labatwa pendant qu’elle était au marché.

Depuis des années, ces deux gangs rivaux luttent pour le contrôle du marché de la Croix-des-Bossales. Chacun défend le droit de rançonner les commerçants du marché. «Cette lutte acharnée a déjà causé le décès de centaines de personnes à La Saline et la décimation de dizaines de familles qui habitaient la zone», révèle un rapport du Réseau national de la défense des droits humains (RNDDH) paru en décembre 2018.

Dans la région métropolitaine, l’insécurité existe partout. Les places publiques n’en sont pas exemptes. Andy, père d’un enfant d’un an, est de ceux qui ont fui La Saline. Il se dit conscient des dangers auxquels ils sont exposés de jour comme de nuit dans ce nouveau campement sur la Place d’Italie. Il essaie de faire vivre sa femme et son enfant en vendant des boissons à base de clairin. Son stock se résume à 6 gallons de boissons, quelques boîtes d’allumettes et des paquets de sucre qu’il espère vendre à ses voisins.

La maison de Andy n’avait pas été incendiée comme ce fut le cas pour Jocelyne.  «Les gens de Nan Chabon ou j’habitais ont massivement pris la fuite suite à des détonations entendues partout dans la zone. Nous nous sommes aussi échappé moi et ma famille par crainte d’être victimes», lamente ce jeune père de famille qui expérimente des conditions infra-humaines sur la Place d’Italie depuis le 1er novembre 2018.

Insalubrité du camp

L’insalubrité qui couvre cette place publique inquiète les déplacés qui s’y sont installés. Le bassin artificiel placé au milieu de la place est rempli d’une eau verdâtre où nagent des détritus de tous genres. La mairie de Port-au-Prince n’accorde aucune attention à la Place d’Italie pourtant située juste en face de ses locaux.

Pour se préparer à manger, se laver et parfois même étancher leur soif, les gens utilisent l’eau polluée provenant d’une source située à proximité, mais entourée de vendeurs de carpettes usagées.

L’absence de poubelles et de toilettes publiques fait cruellement défaut.  Matthieu qui a aussi abandonné sa maison à La Saline pour élire domicile sur la Place d’Italie ne cache pas la réalité. « Les défections se font à l’air libre à la faveur de la nuit ou dans des sachets plastiques jetés dans la nature», explique-t-il. Matthieu, propriétaire d’une boutique où se ravitaille cette communauté, sait comme tous ses voisins que sa santé est menacée.

Une communauté invisible

Depuis leur installation dans ce lieu public, les conditions de vie de ces gens ne cessent d’empirer. Nombre des interviewés lamentent leur misérable vie. À cela s’ajoute l’insécurité alimentaire aiguë qui frappe ce groupe qui inclut des enfants nus, des femmes enceintes, des vieillards et de jeunes couples en majorité ayant des enfants en bas âge.

Ces réfugiés, devenus aujourd’hui voisins de la Primature et du Parlement haïtien situé à quelques mètres du camp, se plaignent du silence des autorités sur leur sort.  «Nos moyens financiers sont insuffisants pour louer une maison dans d’autres quartiers réputés calmes», dit Mathieu.  «Nous nous sommes installés ici afin que l’État puisse nous secourir», a fait savoir Andy qui espère le support de l’État.

 «N’était-ce pas le soutien de la congrégation salésienne, nous ne pourrions pas résister à cette misérable vie», explique Andy. Entre-temps, un membre de la mairie de Port-au-Prince sous couvert d’anonymat, a fait savoir que la mairie n’a pas une estimation de la population de ce camp.  «La mairie de Port-au-Prince ne partage pas les données estimatives du camp avec des structures humanitaires qui veulent faire des dons. Nous n’avons pas les chiffres», a expliqué cette dame qui n’est pas habilitée à parler pour cette institution publique.

Pendant qu’ils espèrent, des lendemains meilleurs, ces gens vivent au jour le jour avec le souvenir de leurs maisonnettes réduites en cendres à La Saline.

Emmanuel Moïse Yves