N’allez pas au pouvoir si vous ne pouvez pas faire une différence positive


Le citoyen comme le peuple d’ailleurs doit normalement être fier de son pays, de son drapeau et de ses dirigeants. Après l’indépendance, symbole historique de l’union des opprimés contre les colons français, l’Haïtien a eu la grande veine de sa fierté tranchée, avec l’assassinat de Dessalines par une catégorie sociale qui a fait scission pour reprendre à son compte un système dont elle a pourtant contribué à chasser le patron.
Et depuis, la descente aux enfers a commencé pour conduire le pays dans le trou abyssal dans lequel il se trouve aujourd’hui. La logique qui prédomine dans la gestion de la chose publique, est « ôte-toi pour que je m’y mette», donnant ainsi lieu à un ensemble de coups d’état, à des gouvernements de doublure, aux dictatures et à l’anarchie, à des monopoles et des oligopoles, à la corruption et à la paupérisation de la grande majorité de la population, soumise à l’exploitation d’une poignée de commerçants, pas toujours d’origine haïtienne, alliés à des politiciens et des fonctionnaires corrompus, comme l’a dit Pierre Pluchon [Histoire des Antilles-Guyane ; pp.377].
Ce qui a conduit peu à peu à une perte d’espérance qui fragilise l’identité. Plusieurs cas illustrent aujourd’hui ce manque de fierté d’être Haïtien, ce défi de « marcher la tête altière et haut les fronts ». Le drapeau national – maculé du sang de la violence, de 1806 à aujourd’hui, et d’une série de contreperformances faisant d’Haïti le bon dernier dans la plupart des classements internationaux, – n’est plus le symbole de dignité et de respect, ni de ralliement comme ce fut le cas le 18 mai 1803.
Avec un revenu per capita de $ 1,663, Haïti est classé au 15e rang des pays les plus pauvres au monde, selon la Banque mondiale qui a aussi constaté que la grande majorité de ses cadres vivent en terre étrangère. Les jeunes cherchent la moindre occasion pour fuir le pays, comme s’ils n’y appartenaient pas.
D’autres, par la couleur de leur peau ou par leur fortune, se font passer à l’étranger pour un autre citoyen et s’offre la double nationalité. C’est ce que Price-Mars appelle le bovarysme collectif. D’autres encore désertent le pays en temps de troubles, rejoignant leur famille déjà à couvert à l’étranger, et n’y retournent qu’après que le calme fut revenu pour recommencer à jouir, à piller, à frustrer par leur richesse colossale et leur arrogance, sans se soucier de la détérioration tant de la qualité de vie de la majorité que de l’image du pays.
Haïti est considéré en outre comme un pays fragile, un pays en faillite, un pays instable et dangereux, qui représente une menace pour ses voisins. La capitale qui est la vitrine du pays, est à la fois une poubelle et un vrai panier de crabes sur le plan politique.
Au regard de ce tableau peu flatteur, mais qui est loin d’être exhaustif, la vraie question à se poser est : pourquoi devenir un dirigeant et/ou avoir le pouvoir dans ce pays, voire être très riche ? Est-ce pour entretenir cette image désastreuse ou pour la changer à coup sûr ?
Le pouvoir PHTK est très critiqué notamment pour corruption, détournement de fonds publics, et d’inefficacité. Le pouvoir duvaliériste est aussi critiqué, en particulier à cause de son régime politique caractérisé par une dictature sanguinaire. Le pouvoir lavalassien a raté la transition démocratique et, dans le fond, ne s’est pas vraiment démarqué du système d’injustice sociale qu’il dénonçait et qu’il était censé corriger.
Autrement dit, durant les 60 dernières années, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir n’ont pas fait mieux que les précédents. Aucun n’a égalé par exemple la différence positive que le gouvernement d’Estimé a su faire montre.
Dans ce pays où pratiquement tout est à faire, il y a de grands dossiers qui ne peuvent plus attendre, qui sont de nature transversale et dont la concrétisation aura sans doute des effets d’entrainement libérateurs, tels que : la décentralisation, la production nationale et la création de richesse distributive, l’éducation, la religion, l’environnement, la coopération internationale, la bonne gouvernance (lutte contre la corruption et le népotisme, la justice, la fiscalité et la diplomatie), les infrastructures (route, port, aéroport, eau et assainissement, énergie, NTIC), etc.
Faire une différence positive n’est pas tant de réaliser tout cela en même temps. Aucun gouvernement, ni personne ne pourra le faire. C’est plutôt créer un état d’esprit collectif qui résonne positivement, trouver un consensus national autour d’un pacte social de gouvernabilité durable, et initier des actions qui mettent le pays en chantier et qui redonnent confiance, tout en faisant avancer au moins un de ces dossiers qui font partie des grandes attentes de la république.
Tout est avant tout une question de timing. Loin de tout populisme, il est bon de savoir que les petites choses qui répondent au bon moment à des attentes collectives deviennent forcément de grandes choses qui ne s’oublient pas. On se souvient de la récompense populaire vis-à-vis, par exemple, d’un Benoit ou d’un Sénatus pour leur action qui répondait à point nommé à une attente sociale.
Faire une différence positive, c’est donc être à l’affût du bon moment pour marquer positivement son passage. Il est temps que des personnes honnêtes, brillantes et capables reprennent le flambeau, s’unissent par le ciment de l’engagement et de l’esprit d’équipe pour redorer le blason d’Haïti. Alors, n’allez pas au pouvoir si vous ne pouvez pas faire une différence positive.
Abner Septembre