Pleins pouvoirs et premières erreurs de Jovenel Moïse

Sans brusquer, sans élever la voix, sans manifestation de ses partisans et comme le président René Préval en 1999, le chef de l’État a constaté la caducité du Parlement haïtien à minuit deux minutes le lundi 13 janvier dans un message posté sur Twitter.

Quelques heures plus tard, dans une adresse à la nation, Jovenel Moïse a décliné les raisons l’ayant porté à constater la fin sans remplacement de la 50e législature : les élections n’ont pas eu lieu. 

Le reste est un mélange de torts partagés entre les politiciens qui s’affrontaient ces derniers mois. Le président a chargé les parlementaires qui n’ont rien voté, ni la loi sur les élections, ni le budget des élections, ni rien pour renforcer les institutions. Le président a oublié de dire qu’il disposait d’une large majorité dans les deux branches du Parlement. 

Comme seuls les vainqueurs écrivent l’histoire, la version présentée par Jovenel Moïse a fait la une de l’actualité. Les derniers soubresauts des élus pour survivre à l’inéluctable ont plutôt fait sourire. 

Les parlementaires, faut-il le rappeler, avaient une très mauvaise image dans l’opinion et peu pleurent sur leur sort ou les regrettent. 

Cela dit, dans son discours de victoire, le président Moïse a commis ses premières erreurs. Il annonce avoir passé des instructions pour que le reliquat restant du budget 2019-2020 du salaire des députés et sénateurs soit affecté à la construction de dix lycées. Le chef de l’État a communiqué le montant restant sans parler des astronomiques budgets de fonctionnement hors salaire des deux Chambres. Le président a fixé le coût d’un des projets. 

En un seul discours, le chef de l’État a pris la place du gouvernement, a réaffecté des fonds du dernier budget régulièrement voté (2017-2018), a dénaturé des appels d’offres et placé la présidence royale comme une récompense acquise sur les ruines du Parlement défaillant. 

Déjà les observateurs parlent de doublons, car certains projets de construction de lycées étaient déjà sous financement. 

Le président n’a pas donné suite à son deuxième message posté sur Twitter au beau milieu de la nuit : il nous préserve encore de ses projets constitutionnels qui visent à donner tous les pouvoirs ou plus de pouvoirs à la présidence en Haïti. 

On ne sait pas combien de temps prendra la coupe pour arriver aux lèvres. 

En attendant, les États-Unis d’Amérique, comme pour René Préval en 1999, se sont montrés disposés à collaborer avec le nouveau régime qui se dessine. Une visite officielle a eu lieu au Palais national le 12 janvier ; l’ambassadeur Sison et l’administrateur adjoint de l’USAID John Barsa ont rencontré le président Moïse « pour discuter des priorités en termes de croissance économique, de l’importance de la sécurité publique et de la stabilité politique en vue de supporter des partenariats clés dans les domaines de l’éducation et de la santé ». 

La communauté internationale non plus, toutes ambassades et institutions confondues, ne brûlait pas d’amour pour nos honorables parlementaires. 

Ce 13 janvier 2020, sans faire de faute, sans soulever la contestation populaire et avec l’appui muet de la communauté internationale, le président Moïse croque le Parlement comme un fruit mûr. Il est déjà à craindre, comme souvent en Haïti, que le pouvoir absolu ne soit pas synonyme de bonne gouvernance. 

Edito du Nouvelliste – Frantz Duval