Pestel, une commune mise à l’écart pour ses luttes

Dimanche 10 mai 2020 ((rezonodwes.com))– Alors que plusieurs communes du département de la Grand’anse ont bénéficié de quelques actions concrètes (Jérémie; bétonnage ou asphaltage de ses nombreuses rues, Corail; désenclavement de la commune, Beaumont, électrification, Irois, électrification, Marfranc, centre de germoplasme, Anse d’Hainaut; désenclavement..) des différents gouvernements du président Jovenel Moïse qui se sont succédé, Pestel est jusque-là traitée en parents pauvres.

Pourquoi une telle attitude du président Jovenel Moïse envers la commune de Pestel en dépit de ses promesses remontant à sa visite le 4 mai 2018? Serait-il une nonchalance? Poursuit-il la logique historique visant à mettre Pestel à l’écart de tous les projets de développement? Ou encore nos élus n’ont-ils pas leur responsabilité en ce qui a trait?

Ce sont autant de questions qui divisent les Pestelois. De l’avis de certains gens, la commune ne lui représente pas une menace réelle; et pour d’autres il serait une trahison ou encore les séances du pays lock ont une part de responsabilité. Elles ont toutes une portée intéressante dans la réflexion. Pour moi, la non prise en charge de son développement par ce gouvernement en place ne date pas d’aujourd’hui. Elle est peut-être victime de sa position géographique, mais cette thèse parait trop simpliste pour l’accepter. La nonchalance de la plupart de nos dirigeants est un facteur à considérer.

Pestel, située dans la Grand’anse du pays, est élevée au rang de commune depuis 1843 au lendemain de sa participation dans la lutte causant le départ de Jean Pierre Boyer au pouvoir. En dépit de son potentiel agricole et éco-touristique, elle est créditée d’un manque à gagner énorme en termes de développement. Le retard dont elle accuse est historiquement lié à un vaste complot de l’Etat contre la commune souvent orchestré par certaines de Jérémie.

Historiquement, Pestel a été toujours été une zone de rebellion. On se rappelle la participation des anciens d’abord au côté de Jean Baptiste Perrier dit Goman (1807-1820), ensuite au côté de Jean Jacques Acaau en 1843, dans la lutte contestant l’hégémonie des élites de Port-au-Prince. On se rappelle également le mouvement des Piquets dans les mornes de Pestel contre les projets anti-nationaux de plusieurs gouvernements. Nous avons passé tous ces règnes sans l’intervention de l’Etat central. Ce fut un siècle de développement perdu, voyez-vous! Il importe de rappeler qu’en trois fois l’économie de la ville fut passée à flamme par des incendies orchestrées par l’Etat central. Ça a été un manque à gagner énorme.

De 1843 à date, Pestel n’a pas connu de très grands chantiers de développement. Toutefois, on retient quelques réalisations de certains présidents effectuées sous base de compromis politique et de relations de camaraderie.

On se souvient que Sténio Vincent a fait construire une école nationale, un dispensaire, un citerne communautaire, et la première manche de la percée du Tronçon de route reliant carrefour zaboka à Pestel; sous la présidence de Magloire, deux écoles nationales étaient construites, la seconde manche du tronçon de route fut réalisée. Toujours est-il, Henry Namphy nous a permis d’avoir l’ancien réseau électrique et il a contribué à certains dégrés dans la construction du bâtiment du lycée. René Préval a quand même réalisé quelques interventions dans la commune.

Par contre, durant le règne des Duvaliers, la commune fut tombée dans l’oubli. Pas même une pierre n’a été posée. Ce n’est qu’au cours de cette époque, le commerce florissant que connut Pestel devient au point zéro puisque les commerçants sous prétexte de complot contre Duvalier furent contraints d’aller vendre leurs rêves ailleurs. Pestel fut encore victime sous le second mandat de Préval et de celui de Michel Martely.

Les critiques arguant que Pestel est négligée dans le budget national sous prétexte qu’elle n’apporte rien en termes de recettes fiscales sont de loin une réalité.

Dès sa genèse à 1990, Pestel a rapporté du gros dans l’économie nationale. Il est rapporté par l’écrivain Semexant Rouzier que dans les années 1850 à 1890, Pestel produisit 650.000 livres de café. Le port faisait le plein de cargaisons, exportant entre dix et quinze mille sacs de café l’an et en retour importait de Port-au-Prince et de Kingston des marchandises diverses.

Grâce à la spéculation du café, Pestel accusa en 1921/22 une recette fiscale de 1.815,98 gourdes ; l’année suivante, elle s’éleva à 2.783,40 gourdes, en 1923/24 à 4.404,91 gourdes et en 1924/25 à 5.909,85 gourdes. Pareillement en 1954, quand la marmite se vendait à 42 gourdes, l’économie de la zone florissait davantage. Le café rapporta dès lors mensuellement environ un million de gourdes. A ce sujet, l’ancien inspecteur fiscal Vidal St. Louis confie à quelqu’un que, grâce au commerce de café, la commune était dans les années 70-80 l’une des communes qui rapporta à l’Etat une grande part du budget national.

Par rapport à tout ce qu’elle a rapporté dans les anciens budgets nationaux, faut-il se demander pourquoi le problème de l’eau de Pestel n’a pas été une préoccupation des différents gouvernements qui se sont succédé. De plus, comment se fait-il que le tronçon de la route carrefour zaboka Pestel n’ait encore été asphalté?

Pour finir, même si Pestel ne contribue plus dans l’économie nationale mais l’Etat a une dette envers elle puisque dans les années où elle rapporta du gros à l’Etat ce dernier ne lui retourna pratiquement rien sous forme de services. Ainsi l’on se demande si le président Jovenel Moïse va relever ce defi historique qui l’attend.

James St Germain
Sociologue, professeur de philosophie