Avec ou sans Jovenel Moïse, le pire est à venir…

Le président Jovenel Moïse a fait le dos rond, s’est accroché au pouvoir et a survécu, après février 2018, à un autre temps fort dans la mobilisation de l’opposition politique. Il semble se renforcer de la maladresse et du déficit de confiance de certains de ses adversaires.

Le « lòk » interminable, la fermeture de l’école depuis deux mois, l’instrumentalisation de gangs armés dans le combat politique et les exactions signalées ici et là ont provoqué des tiédeurs.

Les appels à manifester de l’opposition, dimanche dernier et le 18 novembre, n’ont pas drainé grand monde. L’opposition peine encore à convaincre qu’elle veut effectivement changer le système et non renverser Jovenel Moïse pour faire main basse sur le pouvoir.

Le président Jovenel Moïse, toujours très impopulaire, contraint de passer comme une comète au Champ de Mars pour ne pas se faire caillasser, n’en finit pas de parler au nom d’une majorité silencieuse dont une bonne partie, inexorablement, s’’enfonce dans la pauvreté. Les chiffres, à glacer le sang, racontent un désastre, une descente aux enfers accélérée sous la présidence de Jovenel Moïse.

Le président Moïse, appuyé par les fusils de la PNH, des FAd’H, par les Américains et ses alliés du secteur privé des affaires est, en 2019, à la tête d’Haïti qui, pour la première fois depuis le séisme de 2010, connait  un taux de croissance du PIB négatif – 0,6 %.

En pleine contraction de l’économie, les prix continuent de s’envoler. L’inflation est supérieure à 20 % en octobre et la gourde, en quelques mois, a perdu presque 30 % de sa valeur par rapport au dollar.

L’État, privé de dons, a continué de vivre au-dessus de ses moyens. Le déficit budgétaire, si l’on fait cas de la quatrième note de politique monétaire corrigée, est de 27 milliards de gourdes. Sur les 103 milliards de dépenses publiques indiqués par la BRH, l’État, selon le TOFE d’octobre 2018 à août 2019, a investi un peu plus de 2 milliards de gourdes.

Le pays, resté peu attractif pour les investissements locaux et investissements directs étrangers, a des entreprises qui, après les « lòk » successifs de juillet 2018 à novembre 2019, meurent. Avec des perspectives loin d’être encourageantes, des capitaines d’entreprises ayant dit non à l’exode, et au dépôt de bilan, sont passés en mode compression, de mise en disponibilité ou licenciement.  

Pour la population active qui tente de survivre déjà avec un taux de chômage supérieur à 60 %, il n’y a pas photo. Les temps difficiles, extrêmement difficiles, sont à venir.

Pour noircir un peu plus les perspectives, il y a l’insécurité alimentaire. Le PAM, citant une étude menée en octobre 2019,  a indiqué récemment que sur 11 millions d’Haïtiens, 3,7 millions sont en situation «d’urgence». 

Selon les 5 phases de la classification de la sécurité alimentaire (IPC) utilisée par le PAM, la situation «d’urgence» (phase 4) signifie que les familles doivent faire face à des difficultés extrêmes pour satisfaire leurs besoins alimentaires. La phase 5 est la situation de «famine». En Haïti où 59 % des revenus des ménages sont utilisés par acheter des produits alimentaires, selon une étude la BID, juillet 2019, la vache enragée sera l’unique plat au menu.

L’incapacité du président Jovenel Moïse à préserver la stabilité politique, à rassembler le pays sur de vrais projets de réformes, a déçu. Les lendemains qui chantent vendus par ce dernier est comme Godot que l’on attendra indéfiniment.

Le refus d’attendre, de croire en un chef d’État décrié, a mis le feu aux poudres, une nouvelle fois, entre septembre et début octobre 2019. Les morts, les tueries imputées au pouvoir Tèt Kale, la casse, la peur… alimentent la chronique d’un pays pris au piège d’un déficit d’implication citoyenne, de l’incompétence, de l’appétit démesuré du pouvoir, du refus de lutter contre la corruption, la pauvreté et de ses élites indigentes.

Sans avoir de boule de crystal, une évidence saute aux yeux. Quelle que soit l’issue politique, le pire est à venir. Les factures salées de l’économie ne font qu’arriver. Les gangs, au besoin, changeront de maitres, continueront d’imposer leur présence sur l’échiquier politique et dans la vie des paisibles citoyens et citoyennes qui devront redouter le retour en force des kidnappings.

Entre-temps, il faut écraser une larme de regret face à l’incapacité de ceux qui ont allumé le feu de la contestation contre la corruption, pour la reddition de comptes, contre ce système. Ils ont allumé ce feu nécessaire mais sans stratégie, sans savoir jusqu’où il faut aller pour transformer ce pays, faire de l’égalité, de la solidarité une réalité.

Les sociétés, en dehors de la société politique, n’ont pas été capables de mener à terme la bataille pour faire triompher l’intérêt collectif et tempérer l’ardeur de ceux qui veulent le pouvoir pour le pouvoir, pour perpétuer le même. 

Au point où se trouve le pays, les “solutions comestiques”, sans un plan de sauvetage de l’économie dont les fondements devront changer, échoueront. Autant se le dire pour ne plus mettre le temps au service du pire…

Source Le Nouvelliste