Sauver sa tête, ne pas perdre la face

La visite était attendue et redoutée. Attendue, car quoi qu’en disent les parties concernant la crise politique en Haïti, tous les acteurs sont prêts à parler aux envoyés étrangers tout en refusant de se parler entre eux. En fait, ils n’acceptent de se parler qu’à travers l’étranger.

La visite de l’ambassadeur américain auprès des Nations unies était donc attendue par tous.

L’opposition pensait qu’après l’accord du Marriott elle était en position de force pour imposer ses vues. Le président Jovenel Moïse après le retour presque à la normale des activités sur Port-au-Prince, estimait sans doute qu’il était plus que jamais le président de la République.

La visite de l’ambassadeur Kelly Craft suscitait aussi des craintes. Aucune des parties ne voulait essuyer de désaveu de la part de la diplomate de Donald Trump.

Pour ne pas perdre sa tête et sa place, le président Jovenel Moïse a accepté l’idée d’un gouvernement de cohabitation. L’opposition allait pouvoir désigner un premier ministre et avoir des ministères. Il se dit que la présidence était prête à se contenter de peu, de presque rien, même de rien du tout, pourvu que le chef de l’État garde son fauteuil.

L’opposition, pour ne pas perdre la face, est restée sur sa position publique. Le départ de Jovenel Moïse, sinon rien. Tout ou rien. Mieux vaut rien du tout qu’un verre à moitié plein.

Madame Craft est repartie en avion comme elle était venue. Sans même une feuille de papier de plus où un début d’accord aurait pu être ébauché. Rien.

Selon toute vraisemblance, les Américains vont continuer à suivre la situation haïtienne, à supporter le président élu qui leur a déjà tout concédé sans rien demander en retour, et prendre le poids au jour le jour de l’opposition haïtienne.

Souvent, en face d’émissaires, les parties haïtiennes ont préféré satisfaire leur ego, miser sur leurs intérêts et se dire que l’avenir leur donnera raison.

Personne n’a perdu sa tête ce 20 novembre. Personne n’a perdu la face non plus.

Haïti n’a rien gagné. Même pas la date d’une prochaine rencontre.

La gouvernance va rester chaotique, l’économie en faillite, l’insécurité chronique, le désespoir tenace. Chacun campe sur sa position par épisode ou de façon soutenue. Le pire est certain.

Edito du Nouvelliste