Lespri lock !

Je me réjouis qu’aujourd’hui, à l’inverse de juin dernier, des voix toujours plus nombreuses réclament la liberté de fonctionnement pour les écoles et la sécurité pour les enfants et adolescents qui les fréquentent. Il devient heureusement possible de réintégrer au nombre des promoteurs de l’école les syndicats et associations d’enseignants qui, au mois d’octobre, allaient jusqu’à entraîner des gamins dans les rues pour dire non à toute activité scolaire, sur toute l’étendue du territoire national, jusqu’à ce que… Et je réprime bien vite le sourire un peu désabusé qui se dessinait sur mes lèvres en les entendant faire grief à l’État de son échec à les contrecarrer par la sécurisation des écoles. En politique, tout est mouvant et évolutif, entend-on dire trop souvent…

Pareillement, les média, radios ou quotidiens (devenus épisodiques), ouvrent maintenant généreusement leurs micros ou colonnes à la parole, récemment encore bâillonnée, des pro-écoles. J’y vois une reconquête de la liberté d’expression par une opinion publique, versatile, certes, mais qui, pour l’heure, ose penser hors du parcours fléché promu par des « directeurs d’opinion ». De ce fait, elle leur impose une rectification de leur discours sur le droit à l’école. Car un des aspects navrants de cette crise multiforme dont nous ne sommes pas encore sortis, a été une  confiscation de ces conquêtes démocratiques que sont les libertés d’opinion et d’expression. De soi-disant oracles de la nation tendaient à en faire leur chasse gardée et le monopole de leur cercle médiatico-politico-intellectuel. Alors il est heureux que malgré les anathèmes  et parfois les insultes de ces commissaires politiques, en charge de la police de la pensée, la revendication du droit inaliénable des enfants à l’éducation et à la scolarisation ne soit plus indexée comme un « crime contre le peuple ». Il aura fallu  neuf semaines pour y parvenir. Davantage si on comptabilise à partir de la fermeture forcée de mai-juin dernier dont les persécutions terroristes de septembre, octobre et novembre ne sont que les suites logiques et prévisibles. Il aura fallu que les faits se montrent têtus et que par leur poids, douloureux au quotidien, ils transforment en mots le désaccord naguère murmuré des victimes les plus vulnérables de cet holocauste de jeunes esprits. 
       

Grande joie donc puisque des citoyennes et citoyens de toute obédience, anti ou pro gouvernement peuvent, sans passion politique ni ressentiment social, s’accorder sur le principe du respect du droit à l’éducation de l’enfance et de la jeunesse de notre pays. Même s’il ne s’agit pas encore d’une conviction enracinée chez tous et que pour beaucoup la lassitude a pesé lourd dans la balance, un pas a été franchi et la possibilité de points d’accord constatée. Une minorité ou une majorité jusqu’alors silencieuse a élevé la voix. Et ses idées volent plus haut que les propos terroristes et les discours souvent scatologiques dont on nous a copieusement bombardés avant que,  concrètement, de la matière fécale serve  d’arme contre les écoles. Ultime argument de ceux-là que notre système scolaire exclusiviste et ségrégatif aura privé d’une tête mieux faite, mieux pensante et mieux armée intellectuellement pour le débat.
 

      Et c’est par le rejet de ce clivage que je veux terminer, renvoyant à plus tard l’indispensable questionnement et l’exploration spécialisée de l’ambivalence de nos élites intellectuelles et lettrées face au savoir et surtout face à la rétention ou au partage du savoir avec les masses populaires au nom desquelles elles affirment parler. Cette intelligentsia de toute extraction, devenue justement ce qu’elle est par cette école haïtienne, publique ou privée, nécessaire et bénéfique malgré toutes ses tares, et qu’elle se plait aujourd’hui à vilipender et à fragiliser au lieu de contribuer à sa réforme et à sa généralisation.
     

  Depuis quelques temps, « lékol pitit gran nèg apé travay », dans la clandestinité, comme au premiers temps du christianisme l’église des catacombes. Dans la tempête obscurantiste, ces écoles dites bourgeoises ont été ciblées tout autant que celles dites du peuple, avec des variantes dans les méthodes d’agression. Mais, comme le dit le proverbe, « dan pouri gen kouraj sou banann mu ». Donc, ces écoles, dites bourgeoises, seront les premières à bénéficier de ce « van viré »dans l’opinion publique. Oseront-elles en jouir dans le même égoïsme et le même ostracisme de classe qu’ont exploité les tenants du « lespri lock » ? Comprendront-elles la nécessité urgente, impérieuse mais non circonstancielle et opportuniste d’une solidarité sincère et agissante avec les « lékol pitit pèp la » ? Pas pour gagner du temps en posant  un cautère sur une jambe de bois, mais en s’impliquant à fond dans une liaison organique, un réseautage de solidarité éducative dont les formes sont à inventer. Leurs associations ont du pain sur la planche.
   

     L’école n’est pas protégée des luttes sociales par une bulle stérile. De part en part ces luttes la traversent et depuis, ces derniers mois, elles n’ont cessé de la fragiliser. C’est justement en raison de sa grande vulnérabilité que nous avons le devoir de la sacraliser car c’est à travers elle que se construira l’avenir de notre nation. A l’école de la solidarité.
                                                                                                                         

  24 Novembre 2019
  Patrice Dalencour
  Professeur