De la volonté de dévaloriser nos dates historiques

L’histoire est une discipline scientifique qui s’intéresse à la connaissance du passé de l’humanité et des sociétés humaines. Pour comprendre et expliquer les faits historiques, il suffit d’utiliser des repères qui sont les dates, les grandes périodes des faits de civilisations.

En fait, tous les êtres vivants subissent le temps et se transforment au cours du temps. Mais seul l’homme a la conscience de ce passage et a la possibilité de s’en souvenir. Depuis toujours, l’homme a cherché à garder une trace de son passé, en utilisant notamment des moyens tels que les monuments, les musées, les livres etc… L’événement historique est ce qui advient à une date et à un lieu déterminés. Il est donc spatio-temporel. Dans tous les cas, l’événement marque une rupture dans le cours ordinaire du temps. En tant que tel il a une valeur symbolique.

Chaque pays a des éphémérides qui guettent la mémoire de ses citoyens à travers les fêtes nationales afin d’entériner des commémorations historiques, politiques et magico-religieuses. Ces évènements répondent à des conduites rituelles. Mythes ou faits réels, la population concernée s’en fout pas mal. Ils se contentent de célébrer les dates emblématiques léguées par leurs ancêtres. En ce sens, il est inconcevable de demander au peuple américain de laisser passer dans l’indifférence la fête de l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique (4 juillet) et leur Thanksgiving entre autres ! Sous aucun prétexte, le peuple dominicain ne saurait cracher sur son carnaval, fêté tout au long du mois de février ! En dépit des guerres civiles, l’ascension du Prophète Lailat al-Mi’raj et le Nouvel An islamique constituent les principales célébrations yéménites. Ceci dit que les populations sélectionnées antérieurement expriment constamment de l’intérêt pour leurs traditions respectives.

Dans ses premiers écrits (1879-1882) Nietzsche, réfléchissant sur  la morale et sur les valeurs culturelles traditionnelles, décrit l’accélération de l’histoire avec les déséquilibres qui s’accentuent, compensés par la tyrannie anonyme des institutions, génératrice de stress. Pour lui, la notion de nihilisme recèle un paradoxe intéressant.

En Haïti, nous assistons tristement à ce qu’on pourrait appeler un “nihilisme politico-culturel”. L’éthique et les valeurs morales ne font pas partie du jeu politique. La déchéance sociale fait son petit bonhomme de chemin. On a comme l’impression de se retrouver sur un tapis pour la lutte libre où tous les coups sont permis. On est parvenu à galvauder même la notion de TRÊVE, un principe selon lequel une cessation des hostilités ou suspension d’armes est obligatoire pendant un temps déterminé en vertu d’un accord entre deux puissances ou deux parties en guerre. Ce tableau sombre reflète le comportement des dirigeants de la classe politique face à la crise qui ronge le corps social haïtien de façon chronique.  

En plus des sites et/ou les monuments historiques qui sont jetés aux oubliettes, de nos jours, les dates historiques sont foulées au pied. On s’en sert pour organiser toutes sortes d’activités sauf celles appropriées à la circonstance. Il fut un temps, dès qu’on dit, par exemple,18 mai, 22 août, 17 octobre, on s’attendait automatiquement à une kyrielle d’activités dont des conférences/débats, festivités etc. à travers les écoles et les facultés. Aujourd’hui, même 18 novembre, la fameuse date marquant la dernière grande bataille qui allait accoucher l’Indépendance d’Haïti, n’est pas appréciée à sa juste valeur. Néanmoins, il faut saluer, entre autres, la fougue de l’immortel Dany Laferrière qui a permis que le mot « Vertières » puisse être finalement accepté dans le dictionnaire français. Bref !

Le pays s’enlise dans une crise endémique qui touche tous les secteurs de la vie nationale ; L’insécurité fait rage partout dans le pays, la corruption gagne du terrain, le taux d’inflation s’élève à 20% environ, la dépréciation de la gourde bat son plein. Donc, toutes les conditions sont effectivement réunies pour déboucher sur un soulèvement social, ce qui a bel et bien eu lieu récemment. Sauf que les acteurs de l’opposition n’ont pas encore atteint leur but par faute d’inspiration de stratégies efficaces. A part l’application de l’affreuse méthode « fermer les portes des écoles », à chaque date symbolique qui retrace un évènement historique, l’opposition prend un malin plaisir à s’en servir pour propulser des manifestations des rues dans l’optique de chercher à renverser, tout simplement, un chef d’Etat. Cette pratique destructrice révèle que nos hommes et femmes politiques n’ont aucun sens de l’histoire. Sinon, ils/elles auraient mis, de préférence, en valeur les actes glorieux de nos ancêtres en priorisant des séances de causerie sur des thèmes liés à la circonstance. Négliger les grandes dates de l’histoire d’Haïti constitue une atteinte grave à l’intégrité nationale.

Au nom du patriotisme, un Président de la République, corrompu ou pas/décrié ou pas, doit pouvoir commémorer pleinement  les évènements historiques comme le veut le calendrier haïtien. A titre de rappel, les valeurs traditionnelles symbolisent le dénominateur commun d’un peuple. D’où elles représentent notre identité. L’âme du pays se réside dans son histoire. Alors, arrêtons de  le sacrifier si vraiment on souhaite guérir la population de l’aliénation culturelle. Car, un peuple qui méprise son histoire est condamné à patauger dans la misère. 

Pour la Noël 2019 et surtout pour la fête de l’indépendance soit le 1er janvier 2020, les protagonistes sont priés d’observer une trêve politique. En ce sens que les citoyen-ne-s pourront vaquer à leurs activités, le Président doit pouvoir se rendre aux Gonaïves, sans contrainte, pour saluer la mémoire de nos héros et les compatriotes de l’opposition peuvent, entre temps, se replier pour faire une auto-évaluation afin de mieux rebondir la deuxième semaine du mois de janvier 2020 dans la mesure du possible. De toute façon, provoquer une situation de trouble social pour la fin de l’année ne va rien apporter au gros peuple en guise de bien-être. A cet effet, le dépassement de soi est exigé de part et d’autre. Soyez réalistes.

Il faut souligner que nous sommes encore sur la carte du monde malgré tout, l’humanité toute entière nous observe. Alors, cessons de salir l’image d’Haïti. Ne nous laissons pas nous faire devenir “la Somalie aux Amériques”  comme le souhaite le journaliste européen, M. Vincent Hervouët ». Pour ce faire, unissons-nous comme peuple, digne de ce nom, pour sauver le patrimoine culturel haïtien au-delà des clivages politiques. Sachant que la révolution culturelle, à elle seule, peut nous mettre sur la voie du progrès. En somme, le patrimoine culturel ne peut être patrimoine que lorsqu’il est reconnu comme tel par les communautés, groupes et individus qui le créent, l’entretiennent et le transmettent. Alors, pensez-y !

Jacques Lauture
Citoyen Lambda