Pierre-Richard Agénor : l’Haïtien qui a révolutionné la macroéconomie du développement

Pierre-Richard Agénor, ancien professeur au Centre de techniques, de planification et d’économie appliquée (CTPEA) au Bicentenaire, aujourd’hui Hallsworth professeur de macroéconomie internationale et d’économie du développement à l’École des Sciences sociales de l’Université de Manchester,vient d’offrir au grand public son tout nouvel ouvrage intitulé « Analyse macroéconomique et politiques de stabilisation ». Il s’agit d’une œuvre d’une grande importance, publiée aux éditions françaises Economica, qui explique le rôle crucial de la stabilité macroéconomique et financière dans l’amélioration des niveaux de vie à long terme.

Cette perspective a été développée dès l’année 1996 dans son ouvrage intitulé « Development Macroeconomics », avec Peter J. Montiel, publié par les Presses de l’Université de Princeton. Ce livre en est à sa quatrième édition qui date de 2015 (voir  ).  La nouvelle édition française vient de présenter pour la première fois toutes ces idées au public francophone.

Les travaux du professeur Agénor conduisent à un profond renouvellement du cadre d’analyse macroéconomique des pays en développement, tant sur le plan théorique que sur le plan empirique. Selon l’éditeur, c’est la première fois qu’un ouvrage fournit au public francophone un traitement aussi approfondi et rigoureux des questions actuelles liées à l’analyse et à la gestion macroéconomique des pays du Sud (bien que la version anglaise remonte à 1996).

Plus particulièrement, cette nouvelle macroéconomie du développement souligne la nécessité de prendre systématiquement en considération les principales caractéristiques structurelles individuelles des pays du Sud dans l’analyse et les prises de décision. Il ne fait aucun doute que ces caractéristiques jouent un rôle essentiel dans la transmission des chocs et dans les réponses des agents économiques aux politiques macroéconomiques. Il s’avère donc indispensable d’intégrer ce facteur idiosyncratique dans la conception des modèles destinés à guider la gestion macroéconomique des pays en développement.

Pourtant, il suffit de jeter un regard sur les politiques macroéconomiques, souvent imposées aux pays pauvres par les institutions financières internationales, pour comprendre qu’elles faisaient peu de cas des spécificités locales jusqu’à ce qu’elles commencent à constater des échecs retentissants de leurs politiques économiques. Ces échecs ont poussé les institutions de Breton Woods à changer leur fusil d’épaule en permettant aux pays pauvres de rédiger et de mettre en œuvre leurs propres documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP).

Selon le Fonds monétaire international(FMI), les documents de DSRP sont « établis par les gouvernements des pays à faible revenu, selon un processus participatif dans lequel s’impliquent à la fois les parties prenantes au niveau national et les partenaires internationaux du développement, dont le FMI et la Banque mondiale. Ce type de document décrit les politiques et programmes macroéconomiques, structurels et sociaux, envisagés par un pays pour la réduction de la pauvreté, avec le soutien technique et financier des institutions internationales.

Les politiques et programmes macroéconomiques envisagés dans le DSRP incluaient les composantes structurelles et sociales qu’un pays devrait mettre en œuvre pendant plusieurs années afin de promouvoir la croissance et de réduire la pauvreté. Une emphase devait être mise également sur les besoins de financement externe ainsi que sur les capacités locales de financement.

Le gouvernement de transition Alexandre/Latortue (2004-2006) avait justement réalisé un document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP) qui a été, en partie, financé par les institutions internationales. Si ces institutions ont compris depuis longtemps déjà que la vieille approche « One size fits all » ne marchait plus, il manquait cependant de travaux théoriques au niveau macroéconomique qui démontraient la nécessité de considérer, de façon systématique, les facteurs idiosyncratiques dans le cadre d’analyse macroéconomique des pays pauvres.

D’où l’importance de la contribution du professeur Pierre-Richard Agénor à la littérature sur la macroéconomie du développement. Il y a eu une avancée considérable qui a été faite au niveau microéconomique avec les travaux des économistes institutionnalistes comme Douglass North (1990) et Daron Acemoglu (2005). Mais il y avait une énorme lacune à combler au niveau macroéconomique.

Une analyse de l’échec des programmes de stabilisation du FMI

«Analyse macroéconomique et politiques de stabilisation» permet surtout d’analyser objectivement les causes de l’échec des programmes de stabilisation soutenus par le FMI en Amérique latine et ailleurs, basés sur l’austérité budgétaire et des politiques monétaires restrictives. En particulier, l’austérité budgétaire a souvent conduit à une baisse de l’investissement public, avec des effets adverses sur la croissance et l’emploi, tandis que les politiques de taux d’intérêt élevés ont eu souvent des effets stagflationnistes, à cause de leur impact sur le coût du crédit lié aux besoins en fonds de roulement des entreprises.

La stagflation, contraction des deux concepts stagnation et inflation, renvoie à la situation d’une économie confrontée simultanément à une croissance économique faible ou nulle et une forte inflation. Elle conduit souvent à un taux de chômage élevé, contrairement au principe keynésien qui préconisait un arbitrage entre inflation et chômage. Les politiques de relance keynésiennes, visant à faire baisser le chômage sans trop se préoccuper du niveau de l’inflation parce qu’il est difficile d’obtenir les deux conjointement, se révélaient alors inefficaces.

L’utilisation d’un cadre macroéconomique rigide et rudimentaire, basé essentiellement sur quelques identités comptables et l’absence de prise en compte des caractéristiques structurelles propres à chaque pays en développement dans la formulation de ces programmes, sont en grande partie responsables de ces résultats désastreux. Pierre-Richard Agénor permet d’analyser et d’évaluer théoriquement et empiriquement les causes de ces résultats lamentables.

L’auteur a l’avantage de maîtriser parfaitement bien la réalité des pays en développement, contrairement à de nombreux de ses homologues occidentaux. Ses travaux tissent un lien étroit entre la théorie et la réalité du terrain. Il est d’ailleurs chercheur séniorassocié au « Policy Center for the New South », un think tank marocain basé à Rabat, la capitale du Maroc, et à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI). Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont « Development Macroeconomics » (en collaboration avec Peter Montiel) et « Public Capital, Growth and Welfare », tous les deux publiés par les Presses de l’Université de Princeton.

Il a occupé de hautes fonctions au FMI et à la Banque mondiale entre 1989 et 2004. De 1999 à 2003, il a été économiste en chef et directeur du programme de compétences en macroéconomie et en évaluation des politiques à la Banque mondiale. On notera également qu’il a été professeur et directeur de l’unité de recherche du CTPEA entre 1987 et 1989. Il a donc participé à la formation de nombreux économistes haïtiens.

 Il était aussi conseiller économique du ministre de l’Économie et des Finances entre décembre 1982 et septembre 1983 et conseiller économique principal du ministre de l’Économie et des Finances entre août 1986 et septembre 1987. Il a été aussi consultant au ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE) pour une courte période.

L’expertise du professeur Pierre-Richard Agénor pourrait bénéficier énormément à Haïti si les dirigeants souhaitaient concevoir et mettre en œuvre des politiques efficaces de développement économique. Mais là encore, il faudrait qu’ils commencent par y créer un climat politique stable. Aucune politique de développement économique ne saurait être efficace dans le contexte de chaos politique actuel, ce, quelque soit le niveau de compétence du concepteur et la qualité de la politique.

Tout le contenu de l’ouvrage du professeur Agénor serait d’une extrême importance pour la planification du développement économique en Haïti. Il est composé de 15 chapitres. L’auteur commence par bien expliquer pourquoi faut-il une macroéconomie du développement avant de présenter les comptes agrégés et les contraintes budgétaires auxquelles font face les agents économiques. La consommation, l’épargne et l’investissement, des maillons importants de la politique économique, sont étudiés au troisième chapitre.

Les experts y trouveront également pour leur compte, en particulier sur des débats actuels relatifs aux soldes budgétaires et la soutenabilité de la dette publique traités au chapitre 4. Ou encore sur la politique budgétaire et la stabilité des finances publiques abordées au chapitre suivant. Ces thématiques sont d’une grande utilité pour l’Haïti d’aujourd’hui.

Les spécialistes de l’économie financière et des finances publiques apprécieront particulièrement le chapitre 6 sur le système financier et le mécanisme de transmission de la politique monétaire. De même que le prochain qui présente un cadre d’analyse du mécanisme de transmission de la politique monétaire.

Les chapitres 9 et 10 portent sur la dynamique de l’inflation, les programmes de désinflation et le ciblage d’inflation. À l’heure où le taux d’inflation annuel oscille autour de 20 % en Haïti, ces chapitres tombent d’aplomb pour les agents économiques locaux. Il en est de même pour le chapitre sur les régimes de change,la crédibilité des autorités et les crises financières.

Les deux derniers chapitres (14 et 15) traitent des politiques macroéconomiques, du chômage et de la  pauvreté ainsi que des modèles empiriques pour l’analyse des politiques macroéconomiques. L’ouvrage de niveau maîtrise donne la possibilité au lecteur de choisir le chapitre qui l’intéresse sans avoir nécessairement à lire l’ensemble des chapitres précédents dans un ordre chronologique.

La lecture de « Analyse macroéconomique et politiques de stabilisation » du professeur Pierre-Richard Agénor ne pourra être que bénéfique à celui qui en a fait l’acquisition. Nous souhaitons que ces idées puissent inspirer les agents économiques haïtiens, particulièrement les dirigeants, un jour. Le plus tôt serait le mieux pour le développement économique national.

Source Le Nouvelliste