Le directeur de l’ULCC n’a pas le droit de me convoquer, estime le chancelier Edmond Bocchit

Le ministre des Affaires étrangères, Edmond Bocchit, a réagi sur les décisions prises par le directeur de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) Claudy Gassant, dans l’enquête ouverte sur les incidents survenus à la frontière impliquant la diplomate haïtienne Judith Exavier. Le chancelier a souligné qu’il ne veut pas s’opposer à la démarche de l’ULCC qui s’est saisie du dossier. Cependant, il a émis des réserves sur les fondements juridiques qui permettent une telle démarche. « Je ne sais sur quelle base l’ULCC se saisit du dossier. Je ne peux pas m’opposer à cela puisqu’il s’agit d’une institution étatique. Mais j’espère que le dossier sera traité selon les normes et les principes juridiques établis », a fait savoir le ministre.

Edmond Bocchit souligne plus loin que le directeur de l’ULCC, Claudy Gassant, ne peut pas le convoquer à son bureau. « Le directeur de l’ULCC sait très bien qu’il n’a pas le droit de convoquer un ministre. Il n’a pas cette compétence. Il m’a envoyé une invitation que j’aurais pu ignorer. En bon gentleman et dans le souci de lui montrer ma volonté de collaborer, je lui ai répondu que je suis disponible à rencontrer les membres de la commission qu’il a formée sur ce dossier. Les commissaires ne se sont pas présentés à mon bureau et il m’a écrit pour m’inviter de nouveau. Je ne suis en conflit avec personne. Si les enquêteurs veulent revenir, après avoir eu une entrevue avec le directeur général, ils peuvent le faire. Nous n’avons pas la volonté de faire obstruction à quoi que ce soit. Je réitère la volonté de mon ministère d’aider l’ULCC à avancer avec ce dossier » affirmé le ministre Bocchit. 

Edmond Bocchit a  en outre dénoncé les violations des principes de confidentialité dans cette enquête. « Il y a une procédure à adopter. Cette enquête devait être crédible et discrète. Les enquêtes sur la corruption se font en toute confidentialité. Pourtant dans ce dossier, toutes les décisions sont publiées sur les réseaux sociaux, et ceci dès le début », a-t-il fait remarquer.

Le chancelier haïtien a confirmé l’existence d’un conflit entre le directeur de l’ULCC et le chargé d’affaires de l’ambassade d’Haïti à Santo Domingo. Ce dernier fait l’objet d’un avis de recherche de l’ULCC. « Sa femme [la femme de Claudy Gassant] a travaillé à l’ambassade d’Haïti en République dominicaine à deux reprises. Il y a eu un problème entre le chargé d’affaires et la femme de Me Claudy Gassant, ce qui a provoqué un conflit personnel entre Me Gassant et le chargé d’affaires Yves Rody Jean. Je ne vais pas m’attarder là-dessus parce que c’est personnel. Si Me Gassant le souhaite, il pourra apporter des explications. Des avis de recherche ont été émis contre Yves Rody Jean et 5 autres fonctionnaires (Kerby Alcante, Judith Exavier, Smith Glaude, Eric Cheriska et Ronald Beldor). C’est scandaleux de mettre des avis de recherche contre des fonctionnaires qui n’ont commis aucun crime, qui sont en poste dans une mission diplomatique à l’étranger. Pour nuire à nos relations bilatérales, les autorités dominicaines auraient pu arrêter ces fonctionnaires sur la base de cet avis de recherche. Le directeur de l’ULCC a pris cette décision sans l’aval du président qui est le chef de la diplomatie. C’est un affront à l’État haïtien », estime le ministre.

Edmond Bocchit a toutefois assuré de sa volonté de supporter les institutions qui combattent la corruption comme l’ULCC. « Je suis pour le renforcement de cette unité. Il faut d’ailleurs rappeler que sur instruction du président Moïse, j’ai négocié une aide de 18 millions de dollars de l’OEA pour les institutions qui travaillent dans la lutte contre la corruption. Cependant, je n’appuie pas ceux qui utilisent l’ULCC à d’autres fins. L’avis de recherche est un acte illégal que le ministère n’accepte pas », a-t-il soutenu. 

En fin d’après-midi, le bureau de communication de l’ULCC a annoncé que deux dénonciations ont été déposées au parquet de Port-au-Prince lundi contre le ministre des Affaires étrangères, Bocchit Edmond, et Kerby Alcante. « Le premier pour avoir fait entrave à la justice en violation de l’article 21 de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption; le deuxième pour avoir fait usage de plusieurs identités, exercer des activités commerciales, être citoyen dominicain (no de cedula 224-0036121-2), et en même temps diplomate haïtien en possession de deux passeports diplomatiques », peut-on lire dans la note de presse dont l’authenticité a été vérifiée par le journal. 

Joint par téléphone par le journal en milieu de journée, Me Claudy Gassant, directeur de l’ULCC, dément avoir violé les principes de confidentialité dans ce dossier. En revanche, il a dénoncé les agissements du ministère des Affaires étrangères. « Le ministre Bocchit a publié le résultat de son enquête alors que ce document ne nous a pas été transmis officiellement à l’ULCC. Ce rapport a été produit par les mêmes fonctionnaires sur lesquels enquête l’ULCC. Il paraît que le ministre est en train de couvrir ses fonctionnaires. Je ne sais pas de quoi il parle quand il évoque les règles de confidentialité car il ne met pas l’ULCC en situation pour mener une enquête. Nous n’avons entendu qu’un seul fonctionnaire. Personne ne sait ce qu’il a dit », a déclaré Me Gassant. 

Le directeur de l’ULCC a dénoncé le fait que le diplomate Kerby Alcante utilise trois identités. « Le ministère des Affaires étrangères lui a fourni deux passeports officiels émis au nom de Kerby Alcante. Il est nommé sous ce même nom. Pourtant dans le rapport d’enquête publié par ce même ministère, il s’appelle Kerby Alcante Desormaux. Ce même Kerby Alcante, selon le numéro du Nouvelliste du 25 mai 2015, s’appelle Kerby Alcantara Desormaux, identifié au nif 003-946-689-8. Il est nommé au ministère des Affaires étrangères avec ce même numéro », a-t-il fait remarquer. 

Claudy Gassant a invité le ministre Bocchit à expliquer le contentieux qu’il aurait eu avec un fonctionnaire de l’ambassade d’Haïti à Santo Domingo concernant de sa femme. « Il a la responsabilité de s’expliquer. Tout ce qu’il est en train de raconter a rapport avec l’article 21 de la loi de mars 2014 portant prévention et répression de la corruption. L’article 21 parle d’intimidation. Je ne vais pas répondre sur cette affaire. Le véhicule confisqué par les autorités dominicaines n’a aucun rapport avec moi. Je ne connais pas Judith Exavier. Je ne connais pas Kerby Alcante », a-t-il dit. 

Sur sa compétence de pouvoir convoquer ou non le chancelier, le directeur de l’ULCC souligne que ce n’est pas lui personnellement qui mène l’enquête. « J’ai donné mandat à une commission d’enquête formée de trois fonctionnaires au minimum. J’invite le ministre à lire la Convention interaméricaine contre la corruption, la loi de mai 2014 et le décret du 8 septembre 2004 qui crée l’ULCC. Cette institution travaille sur les fonctionnaires et la fonction publique. Tous ceux qui travaillent pour l’État tombent sous la juridiction de l’ULCC. Les articles 11 et 12 du décret de 2004 stipulent que l’ULCC peut mener des perquisitions, procéder à des saisies, poser des scellés, chercher les infractions liées à la corruption, rechercher les auteurs et les déférer à la justice », a-t-il fait savoir. 

Claudy Gassant a souligné qu’il agit pour l’État et non pour un particulier. « Si l’État préfère nager dans la corruption, je leur dirai merci beaucoup. Ce sera mon dernier support à la chose publique. À l’intérieur même de l’administration publique, les gens militent pour que la corruption perdure », a-t-il révélé.

Jean Daniel Senat source Le Nouvelliste