Apprenons de nos échecs, ne les glorifions pas

Les promesses de janvier ne valent rien en décembre, c’est connu. C’est au jour le jour qu’il convient d’évaluer ce qu’on se promet, ce qu’on nous promet.

Dans le cas du pays, l’année a commencé avec un président Jovenel Moïse qui n’a pas fait de promesses nouvelles. C’est une bonne nouvelle. Il nous en avait déjà assez fait pour les mois qui lui restent au pouvoir.

Le président a aussi fait des excuses à la nation. Il reconnaît s’être trompé dans ses prévisions de doter le pays de moyens pour que chaque Haïtien jouisse du courant électrique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 toute l’année, sur toute l’étendue du territoire national.

Depuis juin dernier, à la fin du délai qu’il s’était donné, on avait compris que le courant n’arriverait pas jusqu’à nous après les 24 mois du délai présidentiel. Le président s’en est aussi rendu compte et s’en est excusé. On prend acte.

Dans son grand discours du 1er janvier 2020, le chef de l’État a été sobre. Il faut dire que l’an passé le président Jovenel Moïse avait beaucoup promis mais au final peu réalisé. Le président n’a pas présenté de bilan de son année 2019 non plus.

Comme si 2020 apporte un vent nouveau, deux chefs de file de l’opposition, le sénateur Youri Latortue et l’avocat André Michel, ont pris sur eux d’appeler au retour à l’école de tous les élèves. Les opposants de la ville des Gonaïves ont décidé de cesser de s’opposer au retour en classe de ceux qui le souhaitent. Sage décision.

Du même élan, les deux leaders de l’opposition Latortue et Michel ont annoncé que les manifestations de l’opposition se dérouleront dorénavant en soirée ou en fin de semaine. Il n’est pas dit que la stratégie “peyi lòk” a vécu, mais on change de tempo. C’est une évolution notable. Après trois gros épisodes de “peyi lòk”, si l’opposition change de stratégie devant le peu de résultats, il faut lui donner acte.

En Haïti, changer ou modifier une formule qui ne marche pas n’est pas une attitude fréquente. Voir le pouvoir et l’opposition, la même semaine, faire leur mea culpa tient du miracle.

Il est même de coutume en Haïti de voir ceux qui ne réussissent pas, qui ne gagnent pas se mettre à écrire l’histoire pour se donner les plus beaux rôles. On ne compte plus les généraux et les chefs qui ont perdu des batailles et des guerres tout en s’octroyant les beaux rôles, la gloire et la reconnaissance. Les gagnants, petits et grands, sont souvent présentés comme des coquins ou des rusés qui ne méritent pas le statut enviable de vainqueurs.

Cette façon de faire a introduit des biais dans notre compréhension des faits survenus avant nous, dans le temps longtemps. Malheureusement cette pratique s’enracine d’année en année.

Autre habitude déplorable, nous refusons d’apprendre de nos échecs. Nous avons l’excuse suprême de dire que cela n’est pas de notre faute. Le « se pa fòt mwen » qui explique tout en Haïti passe comme un remède universel à nos manquements, à nos erreurs, à nos mauvaises évaluations.

Nous ne puisons pas dans nos échecs pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Nous n’analysons pas nos petites victoires pour préparer de plus grandioses. Nous vénérons l’entêtement stérile.

Dans les deux camps, la satisfaction sur le minimum est fruit d’une paresse sans nom. Si le pays vivote, le comportement de tous les secteurs en est la cause. Nos ambitions ne sont pas à la hauteur de nos problèmes.  

Secteur privé, universitaire, monde agricole, bâtiments et travaux publics, politique, presse, éducation… on peut citer à l’infini les branches de la vie nationale qui ne poussent pas au rythme de nos attentes. On ne peut pas non plus trouver les acteurs qui furent en responsabilité qui ont appris de leur passage au chevet de notre pays malade. Il y a de petites victoires, des succès limités et beaucoup de leçons non apprises. Notre société manque de lucidité vis-à-vis d’elle-même. Nous sommes devenus notre propre catastrophe naturelle au fil des ans.

Une nouvelle année commence, une nouvelle décennie est inaugurée, que comptons-nous changer dans nos comportements pour que nos échecs ne soient plus présentés comme des victoires manquées ?

Edito du Nouvelliste Par Frantz Duval