Bernard Diederich, un journaliste pour l’éternité

Une grande figure de l’histoire contemporaine du journalisme, le doyen de la presse haïtienne, l’auteur de « Papa doc et les tontons macoutes (1961), Bernard Diederich, a rendu l’âme, à Port-au-Prince, ce mardi 14 janvier, à l’âge de 94 ans. Ce Néozélandais qui avait fait de l’histoire immédiate, de l’histoire contemporaine d’Haïti sa matière de travail, va laisser un grand vide chez les historiens et chez tous ceux qui ont le goût de s’abreuver à la source de ce passé qui n’arrête pas de nous hanter. « Papa doc et les tontons macoutes » qu’il a coécrit avec Albert Burt a inspiré le professeur Gérard Pierre-Charles dans « Radiographie d’une dictature – Haïti et Duvalier » (1973). Ce livre de l’homme politique et fondateur de l’Organisation du peuple en lutte (OPL) est une référence.

Ce journaliste, écrivain, photographe, né en 1926, à la Nouvelle-Zélande, qui a étudié en Angleterre, participé à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, qui a traversé des mers et des océans en voilier pour venir en Haïti, avait intrigué le cinéaste Arnold Antonin. Ce journaliste, directeur et fondateur de l’hebdomadaire Sun, qui a vu de près les évènements qui ont bouleversé Haïti au temps de Papa doc et de Baby doc, a produit des ouvrages solides qui pèsent par leurs témoignages : « Le Prix du Sang Tome II, Jean-Claude Duvalier ou la chance galvaudée» « Blood in the Sun », « Island of Fear », « The Fools of April ».

Des figures de l’histoire contemporaine

Diederich, ce journaliste qui a collaboré avec Associated Press, le New York Times et le Daily Telegraph, a campé dans ses essais (John Kennedy, Rafael Leonidas Trujillo, Fidel Castro) des figures de l’histoire contemporaine qui ont influencé l’échiquier politique d’Haïti et avec lesquels François Duvalier s’est frotté dans un cynique jeu diplomatique pour rester à vie au pouvoir. Arnold Antonin a voulu percer cette énigme, il a réalisé un film-documentaire, un portrait de l’homme qui expose des morceaux de vie d’un nonagénaire vigoureux qui carburait à l’histoire dans le feu de l’action.

Diederich, l’ami de Graham Greene, qui a roulé sa bosse de professionnel de l’information à travers le monde, a recueilli une moisson de données de première main pour nourrir ses ouvrages. Il a donné la parole à ses pairs et a accouché par ses jeux de questions, acteurs politiques et figures du monde culturel. Il a interviewé François Duvalier,  Jean-Claude Duvalier, le général panaméen Omar Torrijos, le prix Nobel de littérature en 1982, le Colombien Gabriel García Márquez.

Ce nonagénaire qui est entré de plain-pied dans la légende comme le plus ancien journaliste néozélandais en activité, avait reçu, à 88 ans, une distinction de son pays. Il a foulé le sol d’Haïti en 1949 pour s’attacher à cette terre.  Il a connu l’exil.  Sous le gouvernement collégial en 1957, puis sous le régime des Duvalier.

Au centre Pétion-Bolivar, à Delmas 60 où nous avions visionné « Le tusitala Bernard Diederich raconte », Arnold Antonin, le réalisateur du film, nous a confié : « Il m’a intrigué, cet homme qui a jeté l’ancre en Haïti en décembre 1949. C’est un homme qui est dans le militantisme depuis sa jeunesse. Il a été intéressé par la personnalité des Haïtiens. Il est même tombé sur Ginette Dreyfus, sa charmante femme, qui est la petite-fille de l’homme d’Etat haïtien Boyer Bazelais. Il a fait de très bons amis en Haïti : Roussan Camille, Jean Brière, Roger Dorsainvil, Jean Winer, Félix Morisseau Leroy, Jean Desquiron, Jean-Claude Bajeux… »

C’est dans ce film que nous est revenue à la mémoire la grande polémique qui a mis aux prises Bernard Diederich avec l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature en 2010.

On raconte que Mario Vargas Llosa, en panne d’inspiration, s’est attribué  indûment plusieurs passages de « La fête au bouc » tiré du livre sur la mort de Rafael Trujillo Molina « Trujillo the Death of the goat ». Pour avoir abusivement plagié l’auteur, même les erreurs glissées dans l’œuvre du Néo-Zélandais ont été copiées aveuglément.

Bernard Diederich, un auteur très prisé à Livres en folie, est mort, il nous reste ses œuvres qui continueront à éclairer notre horizon. Mettons-nous en chemin.

Claude Bernard Serant source le nouvelliste