S.O.S d’une Victime en détresse

CONFIDENCES: une rubrique créée par Juno7 et transcrite par Schelle Gelin afin de permettre aux gens d’exprimer leur situation, passée ou présente dans le but de demander conseils et/ou un support moral.

Ainsi, avons-nous recueilli le témoignage de cette jeune fille que nous avons baptisé Rachelle (afin de protéger son identité) qui nous raconte non sans peine le déroulement tumultueux de sa vie. Pataugeant dans une douleur cuisante, on peut aisément comprendre que l’enfer ça existe bel et bien, et que Rachelle fait partie malgré elle de ceux qui l’ont connu trop tôt.

Je m’appelle Rachelle, j’ai 22 ans et je vis à Port-au-Prince. Ma vie a toujours été un tourbillon d’événements et de rêves inédits. Ma mère me raconte-t-on, était très jeune quand elle m’a mis au monde et a été forcée de me placer à l’orphelinat huit mois après ma naissance. J’ai donc passé ma plus tendre enfance entre les mains de différentes personnes. Elles étaient payées pour me nourrir, me regarder grandir. Cela ne m’avait guère dérangé car je n’avais jamais su qu’il existait des parents qui aimaient délibérément et sans condition leurs enfants. On n’arrêtait pas de m’envoyer par-ci par-là et je n’avais jamais mon mot à dire quand aux décisions que les travailleurs sociaux prenaient sur ma vie. J’étais une enfant réservée, timide et solitaire. Cela m’a valu, je crois, un peu d’affection du personnel des différents orphelinats que je fréquentais mais aussi la haine des autres enfants plus âgés ou plus petits que moi qui ne manquaient jamais l’occasion de me frapper, me cogner la tête au mur et qui m’obligeais à dormir à même le sol en entreposant des vêtements mouillés sur mon lit qui se situait généralement à la première rangée. Jusque-là, la vie ne m’était pas si pénible  car je trouvais un plaisir fou dans la lecture. Je lisais beaucoup et j’avais réussi à créer un petit monde où personne ne pouvait m’atteindre. Je me sentais bien.

Bien, jusqu’au jour où, des canadiens sont venus apporter des jouets à l’orphelinat, un jour de Noël. J’aimais Noël, c’était d’ailleurs la seule période de l’année où nous autres orphelins, étions choyés et recevions des cadeaux. C’était également la seule période où personne n’avait le temps de me taper dessus car tout le monde était pris à préparer les festivités de fin d’année. Cette année-là pourtant, Noël était sale et maudit. Le Christ était mort pour ne plus retourner à la vie. C’était le 25 décembre, tous les enfants étaient partis à la paroisse de l’enceinte où l’on veillait et faisait l’échange des cadeaux, et moi, j’étais clouée au lit car j’avais attrapé la fièvre et la grippe. J’avais une violente migraine et mon nez coulait exagérément. On m’exigea donc à garder le lit. Les enfants partis, la gouvernante me fit avaler les mêmes médicaments que j’avais pris le matin même, s’assura que j’étais bien installée et m’avoua qu’elle était exténuée, elle allait profiter du calme annuel qui régnait dans la maison pour faire une petite sieste et viendrait voir comment je me portais de temps en temps. Elle se retira alors dans la petite chambre qui lui était attribuée en bas, et moi je suis restée dans mon lit.

Une demi-heure après que la gouvernante eut laissé le second étage, j’étais couchée face au mur, essayant de tenir ma tête tranquillement avec l’espoir que la migraine s’estompe quand j’entendis la porte s’ouvrir. Je me retournai lentement grimaçant de douleur. J’ai vu le canadien qui m’avait abordé hier en matinée alors que je lisais Pinocchio sur la cour. La trentaine dépassée, il m’avait fait rire en me disant que je ne devais pas être comme Pinocchio sinon mon nez serait vite écrasé par un camion. Il suppose que ce dernier a eu de la chance car dans son temps il y avait très peu de ces machins là.  J’avais beaucoup ri et j’ai reçu pas mal de mauvais regards qui m’ont également fait rire. Les autres étaient jaloux que le blanc me trouve amusante. Alors, quand je l’ai vu s’introduire dans la pièce, avec un paquet emballé de papier cadeau, mon sourire était énorme. Il toucha mon front et m’assura que je me porterais mieux d’ici la fin de la semaine. Je l’ai remercié. Certain qu’il disait vrai. C’est alors, qu’il posa une main vive sur ma bouche et commença à déchirer mes vêtements. Surprise, je ne savais pas ce qu’il faisait mais j’ai eu peur quand il se mit à tordre la peau de ma poitrine à l’emplacement de seins qui n’avaient pas encore vu le jour. Quand il rentra en moi, je sentis une douleur aiguë. Et quand il retira sa main sur mes lèvres pétrifiées, je n’avais plus la force de crier ou de le repousser. Je versais des larmes silencieuses. Fixant le plafond et attendant qu’il finisse l’opprobre. Quand ce fut fait, il se retira simplement, changea les couvertures tachetées de sang, me donna une douche et me remit au lit. Silencieusement. Simplement. Je pleurais. Je versais des larmes amères. Mais la seule question qui m’était venue à l’esprit fut: « Pourquoi ai-je été abandonnée ici ? »

Deux ans après le drame, j’étais devenue plus renfermée. J’avais des crises de larmes et je m’écorchais les bras, les pieds, et les cuisses. Je détestais mon corps. Je détestais chaque pas que je faisais, chaque mot que je prononçais. Je détestais ma face et ma voix. Je m’étais murée dans un silence tombal. Et me refermais à tous. C’est alors que plus personne ne me frappa. Je n’avais plus rien à offrir ni à prendre. Je n’existais plus. Et je n’avais jamais prononcé un mot à personne sur ce drame qui m’avait ravi mon innocence infantile. Personne ne me protégeait et personne ne pourrait plus m’aider. Une tante est venue me récupérer deux ans plus tard, et on m’a confié à elle. Ma mère était morte pendant ce temps et je n’ai pas eu la chance de la voir un jour. Les travailleurs sociaux m’avaient promis une assistance constante jusqu’à ce que j’intègre le monde car je n’avais jamais vécu ailleurs que dans des orphelinats. Ils le firent effectivement et ma tante m’envoya à l’école jusqu’à ce que les travailleurs sociaux cessèrent d’espionner sa façon de me traiter. Alors, je devins sa bonne. J’emmenais ses enfants à l’école, elle en avait trois. Je cuisinais, lessivais et  repassais. J’avais alors 11 ans. Je n’aimais pas les tâches ménagères. Je préférerais mieux lire et écrire. C’est ainsi que j’ai goûté au plaisir en lisant les livres qu’elle conservait dans un petit espace qu’elle avait réservé à cet effet car elle était dans le domaine éducatif. Cette vie ne me convenait pas. Je devais aller à l’école. Apprendre me retenait en vie. Alors quand j’ai rencontré un groupe de personne ( trois hommes et deux femmes) qui m’ont proposé de m’envoyer à l’école si je le désirais, je n’ai pas hésité une seconde et j’ai cru un moment que la providence me tendait finalement la main. Mais la providence, semble-t-il n’aimait pas la forme de ma tête et m’a vite lâché car en guise de sauveurs, j’avais rencontré des proxénètes. Ils m’ont vite inscrite à une école très éloignée de la maison de ma tante qui ne prit pas la peine de me questionner sur comment je faisais pour y aller mais préférait m’accuser de voler son argent et les livres de sa fille aînée. Et un jour, elle brûla complètement mon sac d’école et les quelques vieux vêtements que j’avais. Ce qui décida aux cinq autres personnes à me prendre chez eux. Encore une fois, je changeais d’espace. J’étais petite et pourtant aucune maison ne semblait pouvoir me contenir, pas même celle de mes parents. Je me rendis donc. J’allais à l’école. Je mangeais mieux et je travaillais moins, d’autres en plus que j’avais trouvé trois autres jeunes ados dans la maison. Même si elles n’allaient pas à l’école, elles m’avaient réservé un accueil chaleureux. Cela commença tout juste avant la première période des examens, j’étais alors en huitième année et j’avais 12 ans, quand un homme vint à la maison et qu’on me demanda de coucher avec lui. J’étais d’abord choquée et j’ai refusé fermement. Ils me parlèrent en douceur, tous les cinq. Je continuais à refuser. Et alors on me frappa violemment à la tête et c’était vite fait. 

Je voulais quitter la maison, mais je savais que je n’avais nulle part où aller. Je ne connaissais personne ni même les rues. Et puis, à chaque fois que je refusais on me frappait. J’ai rapidement découvert que les autres adolescentes que j’avais trouvé là, faisaient le business. L’une pour prendre soin de ses parents et ses trois frères et sœurs, l’autre pour toujours avoir de la drogue, et l’autre pour une raison. Nos proxénètes s’assuraient que ce qui nous poussait à eux étaient réalisés, car jamais je n’avais été renvoyé de l’école pour l’argent. Je mangeais mal parfois, mais l’école était toujours payée et à temps. C’était comme un pacte. Et j’avais commencé à comprendre certaines choses, j’avais déjà trop souffert pour aller traîner dans les rues aux risques des plus dures afflictions. Je suis restée, noyant ma honte, mon désespoir et mes larmes dans l’alcool que je trouvais à priori. Ensuite, j’ai commencé à me droguer et à fumer. 

Et puis ma vie, était devenue un véritable bric-à-brac. Le seul point clair restait l’école. J’y allais tous les jours. C’était la seule échappatoire.C’est ainsi que j’ai bouclé les études classiques. Entre sexe, drogue et coups de bâtons. Certains clients nous frappaient également. Ils n’étaient jamais n’importe qui. Des grands pompeux et des pères de famille pour faire bref. Ils nous couchaient sans vergogne.

Quand j’ai bouclé l’école, j’ai également décidé de boucler cette vie et prendre mon envol. Exploiter d’autres horizons et découvrir le monde. Cela n’avait pas été facile mais je crois que j’ai fini par m’assurer sans vendre mon corps. Je ne bois pratiquement plus et je vis tranquillement.

Le problème reste que : je n’arrive pas à me tolérer et à me dépasser, parce que dans ma tête, je suis une prostituée. Je n’aime pas mon corps, en fait, je ne m’aime pas du tout. J’évite de me regarder dans le miroir. J’évite de croiser mon regard. Je n’arrive pas à aimer un homme et je déteste le sexe. J’ai une haine contre tous les hommes. Quand quelqu’un m’aborde, je vois d’abord en lui un violeur, un proxénète ou un père inutile. Et certaines fois, j’ai tendance à me martyriser. Je continue à m’entailler les cuisses, les bras et les pieds. Il m’arrive d’avoir des idées suicidaires.

Quels sont les conseils que vous pouvez me donner quant aux dispositions à prendre pour me sentir mieux ? Que puis-je faire pour voir les hommes autrement et les considérer ? Comment faire pour résister à ce besoin de coups, et de violences qui me pousse à me blesser? Comment faire pour apprécier mon corps et ma personne ? Me regarder dans les yeux sans le sentiment de ne plus être vivante ? Comment faire pour écarter le suicide de mes pensées ?