Au revoir au Dr. Isaac Désir, un mort plus vivant que les vivants

Docteur Isaac Désir était  “Pè Dez “, pour tous ceux qui ont eu le rare privilège de côtoyer cette personnalité exceptionnelle.                                           

Dimanche 1er mars 2020 ((rezonodwes.com))– Avant de fouler le sol de l’espace abritant la Maternité Isaïe Jeanty et Léon Audain (MIJ et LA) communément appelée Chancerelles, je ne pouvais pas associer le visage au nom de Isaac Désir, celui qui faisait de Chancerelles  l’endroit privilégié où pouvaient évoluer les Médecins de services/Résidents de toute provenance peu importe leur appartenance politique réelle ou supposée à la seule condition que c ‘est l’académique qui prime à l’hôpital.

Et ce n’est ni  Gary Conille ni Mario Voltaire qui dira le contraire puisqu’ils sont rentrés à la MIJ et LA à un moment où les chefs de service décidaient de qui admettre dans leur service suivant des critères très peu objectifs. La génération des Résidents d’avant 1996 peut en dire long. Pour les Résidents de 1995/1996, c’était différent puisque leur admission en résidanat dépendait du cumul des notes obtenues durant le parcours universitaire et le concours d’admission à la Résidence hospitalière proprement dit. 

En dépit des difficultés du moment, on a pu effectuer trois bonnes années académiquement bien remplies auréolées de l’expérience acquise auprès du Professeur Dr Isaac Désir et de son équipe pour intégrer le marché de l’Obstétrique gynécologie en Haïti avec l’assurance du conquérant – puisqu’il nous disait toujours que la clinique ne ment jamais.

Nous sommes profondément marqués par la grande tournée magistrale du mercredi  où tous les lits des patients étaient visités un à un par le Maître ayant à sa suite tous les disciples incluant les Médecins  de service  et résidents de tous les niveaux puisqu’il avait l’autorité académique et morale doublée de la fonction administrative pour détenir et prononcer le dernier mot sur tous les cas en attente de solution médicale à la MIJ.

Nous avons encore la nostalgie de cette belle époque qui n’était pas certes florissante mais l’Etat était encore doté du sens de responsabilité vis à vis de ses citoyens. Pour ma part, en prenant connaissance de la section semi-privée de la MIJ je n’avais pas pu,  de mon statut de résident, digérer le comportement de certains confrères qui conféraient aux patients  en semi-privé dans un hôpital public un traitement différent de ceux en *public publique”. Mais le maître avait des longueurs d’avance et maîtrisait la gestion des hommes.

On le croyait tolérant mais il  était d’une sévérité sans bornes lorsque  la situation l’exigeait. J’ai en mémoire le cas d’un médecin, pas des moindres, qui avait été suspendu pour s’être entendu financièrement avec le mari d’une patiente en vue de favoriser son intervention sans tenir compte de la liste préétablie en dehors de toute situation urgente. L’Hôpital ne comprenait pas cette décision mais le maître était au courant de tout ce qui se tramait et avait tranché malgré l’absence d’aveu du mari de la dame. Avant l’exeat, le mari m’avouait que le Dr. Désir avait bien raison puisqu’il avait payé effectivement le Médecin en question pour des soins à recevoir et reçus dans un hôpital public. 

La première fois que l’aîné m’a offert le bistouri pour une opération du sein, j’étais surpris d’entendre le maître me déclarer que c’est la seule opération où l’on ferme avant d’ouvrir. Et cette phrase me poursuit encore. À l’Ecole du maître tous les disciples ont appris et ont pour obligation de transmettre suivant son credo.

Un grand de la médecine Haïtienne, un digne représentant de l’arrière-pays est parti ce 23 février 2020. Un natif du  Fonds des Nègres dont l’éducation a transformé le destin comme beaucoup d’entre nous. Au risque de faire des jaloux, je dois avouer avoir été marqué par la dextérité et l’habileté de ce chirurgien extraordinaire qui distillait sa science dans la sobriété et l’humilité la plus complète.

Il était humain comme nous tous,  mais à mon sens, ses qualités exceptionnelles couvrent amplement les peccadilles supposées ou réelles commises au cours de son pèlerinage terrestre.

Au revoir Maître et merci pour tout.  Que la terre vous soit légère !

Dr Elysée Louissaint (OBGYN)
Président de l ‘Union de l’Union des Médecins Haïtiens (UMHA)