Haïti, pays essentiellement agricole : mythe ou réalité?

par Lopkendy Jacob

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Si Haïti est « essentiellement agricole», selon les promoteurs de cette idée, ceux-ci devraient être en mesure de répondre à certaines questions : Quelle sont les filières d’excellence de l’agriculture haïtienne?

Vendredi 1er mai 2020 ((rezonodwes.com))– En ce qui concerne l’économie, chaque pays dans le monde peut avoir un comportement ou faire des choix de différentes activités de production de richesse. Conséquemment, des grandes lignes économiques sont définies  suivant les ressources disponibles, ainsi que des stratégies de production pour faire asseoir leurs économies. De sorte qu’il y a des pays qui ont sélectionné une ou plusieurs activités dépendamment de leurs potentialités et/ou de leurs objectifs. Ainsi, l’industrie touristique, la technologie, l’agriculture sont entres autres des secteurs d’activités développés par certains pays. 

Haïti fut longtemps qualifié de pays  « essentiellement agricole ». C’est une  idée très répandue dans la population; elle est reprise dans les médias, enseignée dans les écoles. Si l’idée est très répandue, c’est justement parce qu’elle est très ancienne.

Pendant longtemps, la principale source de revenus de plus de 60℅ de la population était l’agriculture. On le sait, depuis les grands mouvement de libéralisation de l’économie entamée au début des années 1980, la production agricole a chuté de manière conséquente, au point que plus de la moitié de ce qui se trouve dans l’assiette de l’haïtien moyen est issu de l’importation. Donc, peut-on continuer à répéter, sans analyse, qu’Haïti est un pays essentiellement agricole? Ou devrait-on continuer à ignorer d’autres secteurs d’activité comme l’industrie et rester au rang de pourvoyeur de matières premières agricoles ?

C’est, il nous  semble, ce qui se dessine si on considère les battages médiatique autour de la question de la production nationale réductible à la seule production agricole. Donc, une réflexion profonde s’impose sur cette affaire par les esprits les plus brillants de la société, puisqu’il s’agit de l’orientation économique du pays.

Fort de toutes ces considérations, un examen objectif doit être entrepris, non pas uniquement pour évaluer la pertinence de ce postulat «Haïti est essentiellement agricole », mais aussi pour provoquer un débat sérieux sur ce qui devrait être fait.  Ce qui nous permettra d’établir si cette idée tient plus d’un mythe ou de la réalité.  

Haïti, son histoire à l’agriculture et des considérations 

Les premiers Européens sont arrivés sur ce territoire en 1492. Ainsi,  commencèrent-ils par exploiter l’île en utilisant les natifs comme main d’œuvre servile, soit dans le travail agricole; ou pour l’extraction des minerais métalliques comme l’or, particulièrement dans les rivières; Dans l’année 1626, près de 5000 écus d’or sont extraits et exportés vers l’Espagne, donc les rivières étaient très riches en minerais, l’or en particulier. Compte tenu de l’abondance des ressources minières sur l’île, les espagnols faisaient de son exploitation leurs principales activités, tout aussi avec eux,  l’agriculture a belle et bien commencé sur l’île. Arrivé vers 1625, les flibustiers français, débarquèrent au nord d’Hispaniola , ce qui provoqua un peu plus tard des conflits  entre les Espagnoles et les Français. Le traité de Ryswick mit fin à ce conflit en 1697; l’île était divisée en deux parties, la partie Est était accordée à l’ Espagne et l’Ouest à la France. Entre temps, l’activité minière s’est considérablement ralenti  à Hspaniola; l’or est devenu de plus en plus rare. Ce qui restait, était de moindre valeur: c’est de la terre cultivable. À la faveur de ces circonstances, les Européens se sont reconvertis en exploitant agricole. Les français,par exemple, dans la partie Ouest  devenue Saint-Domingue, commencèrent par exploiter les terres de manière intensives; elles étaient très productives, et n’étaient pas si épuisées comme aujourd’hui.

Ils cultivaient de la canne-à-sucre, plante originaire de l’Inde; du café, du cacao, du coton, de l’indigo, entre autres jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Bien qu’à travers l’histoire, on a surtout parlé de production de la canne-à-sucre sans doute à cause des transformations  apportées dans la colonie de Saint-Domingue entre 1698 et 1742 pour imposé la canne-à-sucre comme culture principale. Il n’en demeure pas moins que, le café a été aussi l’une des cultures très productives de la colonie française à Saint-Domingue dans la mesure où l’exportation atteignait 30000 tonnes en 1791. Par contre, la production sucrière de 793 sucreries représentait plus de la moitié de l’exportation de la colonie dans le bilan économique de Saint-Domingue vers 1789. Le pays est alors devenu le premier producteur de sucre et la colonie française la plus riche grâce à l’agriculture.

En dépit de l’importance de  ces données, la bonne chose n’est pas d’accepter que le réel du secteur agricole haïtien reste  figé dans l’histoire en pensant à exhiber des chiffres du passé et a faire d’Haïti un pays «essentiellement agricole», sans prendre en compte les nouvelles réalités climatiques, environnementales, sociales, économiques et géographiques du pays. Car ces facteurs sont modifiables, l’agriculture en est probablement aussi, puisqu’elle dépend en partie de ces facteurs. Le sol  d’ Haïti, après plus de deux siècles qu’il subit les assauts  via des aléas naturels et des actions anthropiques presque sans repos, il est fortement dégradé, enfin ils se sont fait démarqués  de l’agriculture à  petit pas. Donc, les dégâts sur ce plan sont considérables et la productivité ne sera pas la même.

Autres considérations, les terres étaient grandement destinées à l’agriculture dans les périodes coloniales et la colonie a été prospère à la faveur de cette activité. Cependant, les esclaves ont été quasiment sans droit et privilège mais seulement avec des obligations, celle de travailler au profit de leurs maîtres. Ils produisaient principalement pour la métropole française, ce qui est consommé par les esclaves dans la colonie est une miette dans la production. Ils n’avaient pas pouvoir de décision sur la production ni sur la quantité ni sur la qualité de produits à consommer, malgré la quantité et les qualités récoltées. Dans les périodes postcoloniales, surgir une nouvelle réalité tant sur le plan social que géographique. Une augmentation de la population  de manière exponentielle, ce qui était différent pendant l’esclavage, et l’obtention de certains droits et privilèges.

La consommation des produits agricoles locaux a également augmenté, c’est la destruction des biens. Aussi, l’occupation des espaces par d’autres activités réduit considérablement les espaces agricoles et ce qui n’était pas envisageable. Car dans la colonie, ils (les nouveaux libres) étaient en captivité, ils les ont entassés, dépouillés de toute liberté de circulation. Ils n’avaient pas à décider de l’utilisation des terres. Libérés de l’esclavage, avec la jouissance de leur liberté, une diversification des activités humaines est développée et des modifications des facteurs socio-économiques et environnementaux sont entrés en ligne de compte. Si bien que, la production agricole sera affectée. Lorsqu’on compare la production des produits agricoles pendant la période coloniale, celle du postcoloniale et l’ère moderne, la différence est considérable.

Le relief et le climat d’haïti au regard de l’agriculture

Au point de vue topographique, les trois quart de la superficie du territoire sont dominés par les montagnes et la hauteur moyenne des montagnes est de 180 mètres environ d’où vient son nom terre montagneuse tandis que les plaines ne représentent que 20 % du territoire. Parallèlement, le climat du pays est varié d’une zone à une autre; ainsi deux grandes tendances sont dégagés à savoir une zone humide dans certaines régions du pays  avec des endroits arides un peu partout dans ces régions dites humides; et il y a les zones montagneuses humides. Entre autres, les zones à climat arides couvrent 60 % du territoire or les zones humides et les mornes d’altitudes représentent chacune d’eux 19 % du territoire. Ainsi, les espaces sont configurés de montagnes humide d’une superficie de  près de 37 %;  des zones sèches agricoles de 26 %; des zones plaines à culture unique de 12 %; et des espaces agro-pastorales semi-humide de  6 %. Dans de telle condition, les courbes isohyètes du pays n’expriment qu’une pluviométrie  maximale inférieur à 4000 millimètres de pluie chaque année.

Fragilisé par la déforestation, l’érosion qui fait son cours étant dominé par des montagnes, les terres sont donc lessivées car les pentes ne sont pas négligeables dans les procédés culturales, puisqu’elles sont supérieurs à 20 %, et qui constituent un obstacle naturel à l’agriculture sur le plan agro-écologique. Aussi, l’agriculture pratiquée en Haïti est celle de subsistance, qui est fortement tributaire des précipitations, semi-archaïque et qui ne prenne pas en compte la technologie et les progrès techniques. Comment ne pas mettre emphase sur ces facteurs alors qu’on prétend l’agriculture est le principal moteur économique du pays. De fait, l’agriculture familiale est celle la plus convenable en Haïti, avec 80 % de montagne, il est incontestable que c’est à la main que les agriculteurs fassent leurs opérations agricoles, une agriculture à petite échelle. Car les espaces ne sont pas accessibles aux engins agricoles et  facilite les opérations agricoles ainsi que l’irrigation, malgré 60 % du territoire constitue des zones arides.

À tout cela, il faut ajouter le problème de la disponibilité de l’eau, un élément très essentiel dans l’industrie agricole or la majorité des exploitations agricoles restent à la merci de la pluie. On pourrait éventuellement opter pour des cultures qui sont moins gourmande en eau comme au temps temps de la colonisation, le problème de volume dans la production restera intact. Il est vrai que, dans la colonie, une production à grande échelle était de mise. Cependant, les esclaves ont étés forcés de travailler dans de conditions inhumaines, les travaux que devraient réalisés par des machines par exemple, ils leurs ont faits faire sous la contrainte du fouet. Ce ne sont pas les mêmes réalités. 

Envisager un scénario où l’on arriverait à utilisé les 20 % de plaine du territoire de manière rationnelle avec des moyens technologiques et techniques, l’autosuffisance alimentaire restera par contre probablement un doute par rapport à la quantité d’habitants qui est aux environs de 13 millions. Donc, du point de vue de la configuration topographique, technique, climatique, géographique et environnementales, Haïti présente de complications et beaucoup d’exigences en matières d’agriculture.

 De l’agriculture dans l’économie haïtienne 

Le secteur agricole est  l’une des activités importante de production de richesse dans un pays. Son apport dans l’économie sera donc déterminé au regard du PIB par secteur. Dans le cas d’Haïti, le secteur agricole est classé au second rang avec 38,1 %, le secteur service au premier rang avec 50,4 % et l’industrie est classée au troisième rang avec 11,5 %. L’écart entre le premier et le deuxième est de 12,3 % et ce du deuxième et du troisième est de 26,6 %. Néanmoins, la population des exploitants agricoles du pays est estimée à un million sur près de 13 millions habitants et représente près de 60 % de la population active. Généralement, la part d’estimation de PIB du secteur agricole haïtien est alors calculé en tenant compte des filières de la sylviculture, de l’agriculture et de la pêche. Près de 45 % des produits alimentaires issus de l’agriculture locale et environ 55% sont des produits de l’extérieur. Les importations des produits agricoles représentent une charge considérable dans la balance commerciale du pays car les exportations des produits agricoles sont largement inférieur aux importations.

De telle sorte que, 22 % des produits agricoles sont importés en 2015 et seulement 5 % des produits agricoles sont exportés de la même année. Par ailleurs, l’essentiel des exploitations agricoles est en polyculture-élevage et fait avec des matériels rudimentaires. Quant aux importations globales du pays, les produits manufacturiers sont en tête à 52 % et les produits agricoles s’en suivi à 22 %. Bien que les produits agricoles sont en deuxième positions dans les exportations.  Par ailleurs, les principaux produits importés en Haïti entre 2015 et 2017 sont : le riz, maïs, lait, blé, viande, voiture et pétrole. Au niveau de la pêche, malgré entouré d’eau de presque tous les côtés, une pêche artisanale est jusqu’ici pratiquée dans la presqu’île. Le secteur de la pêche n’est pas encore développé : une fois encore ce sont des activités à petite échelle. Cependant, les politiques commerciales du pays sont celles du libéralisme depuis les années 80. En conséquence, le produit intérieur diminue alors que les importations des produits alimentaires augmentent, la production locale agricole est fortement touchée.

Il est vrai que l’agriculture fait partie intégrante de l’économie comme d’autres secteurs dans son contenu. Mais, comme toute autre activité économique, elle suscite de l’investissement dans un processus d’industrialisation et une ampleur considérable lui sera susceptible. En plus de son industrialisation, son développement dépend aussi de plusieurs autres paramètres comme des politiques économiques raisonnée et elle peut se trouver dans un rang estimable pour son apport dans l’économie nationale. Or manipuler une mauvaise politique économique, d’autres secteurs peuvent partiellement ou totalement l’affecter également. Alors qu’elle peut classer même au premier rang par rapport à la faiblesse de la production globale, mais en substance cela ne sert pas vraiment à de grandes choses. Et, compter sur le secteur comme le poumon d’une économie est une farce à destin.

Conclusion

Dire qu’Haïti est essentiellement agricole c’est donc être partisan de l’idée selon laquelle le secteur agricole haïtien est particulièrement le moteur de l’économie haïtienne. Cette pensée est plus qu’une prétention, d’abord c’est une bêtise véhiculée à la faveur d’une caprice héritée d’un sous-développement chronique. Car les pays sous-développés, de très souvent, ont tendances à se réfugier uniquement dans l’agriculture, faute de n’a avoir pas attraper le grand mouvement d’industrialisation débuté en Europe dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Dans la division internationale du travail, ces pays sont classés comme pourvoyeur de mains-d’œuvre et de matière première agricole et/ou minière.  

Si Haïti est « essentiellement agricole», selon les promoteurs de cette idée, ceux-ci devraient être en mesure de répondre à certaines questions : Quelle sont les filières d’excellence de l’agriculture haïtienne? C’est-à-dire dénombrer les filières de l’agriculture haïtienne qui ont un poids considérables sur le marché international en terme de volume. Quel est le fort apport de l’agriculture dans le bilan économique d’Haïti? Selon les données existantes, ces questions n’auront pas probablement de réponses intéressantes. Au moins, une activité dite essentielle dans un pays doit pouvoir répondre même à  travers une filière dans le secteur. Par exemple : le Brésil qui n’a même pas considéré l’agriculture comme une activité économique essentielle, le PIB du secteur est seulement  6,6 %. Alors que, le café est l’une des filières d’excellences du pays. Il produisait 3,7 millions de tonnes de cafés en 2018.

Imaginez-vous une activité dite motrice d’une économie n’est jusqu’ici pas encourageante à travers les chiffres dans la mesure où l’une des cultures les plus exportés dans le temps, le café, est à  son plus bas niveau, soit seulement 1000 tonnes sont exportés en 2017. Sur le plan politique, on peut constater une absence de stratégies  de la part de l’État en vu de faire progresser le secteur. Au contraire, certaines décisions de l’État sont décourageantes, telle que la politique néolibérale appliquée depuis les années 80; il n’existe aucune protection pour les exploitants agricoles. Par ailleurs, ceux qui se consacrent à l’agriculture, les paysans, subissent des discriminations. Comment une activité qui serait le moteur de  économie n’est pas encouragée de part et d’autre?

En tout état de cause, l’agriculture n’est pas le principal potentiel productif du pays, non plus elle n’est pas le principal secteur de développement économique jusqu’à dâte. Car les données topographiques, climatiques, géographiques, politiques et environnementales nous montrent l’impossibilité pour Haïti de faire de l’agriculture à grande échelle et mécanisée, c’est-à-dire moderne.  Il est certain que cette activité, quoique très important, ne peut être inscrite comme promoteur de la croissance économique tant désirée. Dire qu’ Haïti est «essentiellement agricole» ou faire de la promotion pour la production nationale réductible à la production agricole comme fer de lance  de l’économie nationale est du pur angélisme voire de la mascarade.

Notices bibliographiques

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