L’épidémie de grippe russe entre 1889 et 1895, fait plus d’un million de victimes à travers le monde, Thérèse de l’Enfant-Jésus décrit la situation

«La mort régnait partout»: ainsi sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus décrit-elle le terrible hiver 1891-1892 au carmel de Lisieux, au cours duquel la communauté n’est pas épargnée par l’épidémie de grippe russe, qui fait plus d’un million de victimes à travers le monde entre 1889 et 1895. La jeune carmélite se dépense sans compter auprès de ses sœurs alitées. La communion quotidienne, exceptionnelle pour l’époque, lui apporte un grand soutien.

Dimanche 3 mai 2020 ((rezonodwes.com))–Ces deux pages de l’Histoire d’une âme, le récit autobiographique de la petite Thérèse, semblent avoir été écrites il y a quelques jours, après d’éprouvantes semaines où l’épidémie de coronavirus n’a accordé à la France aucun répit. Mais elles ont été rédigées entre 1895 et 1896, période de l’écriture du Manuscrit A, et rapportent une épreuve traversée par la communauté des carmélites de Lisieux lors de l’hiver 1891-1892.

Le 2 janvier 1892, Thérèse fête – assez tristement, comme nous le verrons bientôt –  ses 19 ans. Entrée au carmel, le 9 avril 1888, elle est maintenant religieuse profès, et c’est pour elle une période de maturation de sa vocation. En octobre 1891, une retraite prêchée par l’abbé Alexis Prou, qui insiste sur la miséricorde, la confiance et l’abandon entre les mains de Dieu, la confirme dans ses intuitions spirituelles: «il me lança à pleine voile sur les flots de la confiance et de l’amour qui m’attiraient si fort mais sur lesquels je n’osais avancer».

L’épreuve de l’épidémie vient sans doute approfondir ce cheminement intérieur de la sainte. La grippe dite «russe», dont une première vague aurait fait environ 70 000 morts en France en 1889-1890, arrive au carmel de Lisieux en janvier 1892, un mois après le décès de sa fondatrice, Mère Geneviève de Sainte-Thérèse. Au fil des semaines, toutes les sœurs sont atteintes, à l’exception de trois d’entre elles, dont Thérèse. Quatre religieuses meurent, le premier décès survenant… le jour de l’anniversaire de Thérèse!

La jeune carmélite reste aussi vaillante que dévouée envers ses sœurs malades. Elle prodigue des soins, participe à l’organisation de la vie communautaire, fait preuve de courage et de force d’âme dans l’adversité. La communauté, qui la jugeait parfois peu utile et empruntée, la découvre désormais sous un autre jour, comme le souligneront plus tard des spécialistes de la sainte lexovienne. Thérèse reçoit également la sainte communion tous les jours: un fait exceptionnel pour l’époque, car l’Église ne se prononce de façon définitive en faveur de la communion quotidienne qu’en 1905, sous le pontificat de saint Pie X, lui-même touché par les écrits de la future sainte à ce sujet. C’est en Jésus Eucharistie que la jeune carmélite puise vraisemblablement ses forces pour servir ses sœurs et surmonter ses appréhensions, bien qu’elle insiste sur l’absence de «consolations» sensibles lors de l’action de grâces suivant la communion.

« Tout le temps que la communauté fut ainsi éprouvée, je pus avoir l’ineffable consolation de faire tous les jours la Ste Communion… Ah ! que c’était doux !… Jésus me gâta longtemps, plus longtemps que se fidèles épouses, car il permit qu’on me Le donnât sans que les autres aient le bonheur de Le recevoir. J’étais aussi bien heureuse de toucher aux vases sacrés, de préparer les petits langes destinés à recevoir Jésus, je sentais qu’il me fallait être bien fervente et je me rappelais souvent cette parole adressée à un saint diacre: «Soyez saint, vous qui touchez les vases du Seigneur.»

Le passage des années n’enlève rien à l’actualité de ce témoignage. Il pourrait être celui de bien des communautés religieuses d’aujourd’hui, qui affrontent avec courage, réalisme et dans la foi l’épreuve de la pandémie. Sainte Thérèse, par sa prière d’intercession, continue pendant ce temps son œuvre de consolation et de participation au salut des âmes, elle qui avait dit, déjà très affaiblie par la tuberculose: «Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre» (Derniers Entretiens, Carnet jaune, 17 juillet 1897).

«Vivre d’Amour, c’est naviguer sans cesse

Semant la paix, la joie dans tous les cœurs

Pilote Aimé, la Charité me presse

Car je te vois dans les âmes mes sœurs

La Charité voilà ma seule étoile

A sa clarté je vogue sans détour

J’ai ma devise écrite sur ma voile :

“Vivre d’Amour”» (26 février 1895)

Sources: carmeloveneto.it, archives-carmel-lisieux.fr, wikipedia