« Créer une PME en Haïti, c’est faire les 12 travaux d’Hercules », dixit Ralph Leroy de Makaya Chocolat

Makaya Chocolat est la création d’un entrepreneur qui a su surmonter toutes les épreuves de la vie et se réinventer à chaque fois. De publiciste, à chocolatier, Ralph Leroy a mené tous les combats en s’agrippant à son talent et sens du perfectionnisme. Après avoir découvert la qualité du cacao organique de son pays, c’est en Italie qu’il choisit de parfaire son art pour devenir le premier chocolatier certifié d’Haïti. Depuis Montréal, où il a dû se confiner après l’apparition de la Covid-19, il s’est confié à la journaliste Nancy Roc sur son voyage en Italie et le parcours de combattant à mener pour devenir un patron de Petite et Moyenne Entreprise (PME) en Haïti. 

Après sa rencontre avec la Fédération des coopératives cacaoyères du Nord (FECCANO) en Haïti, Ralph Leroy s’attèle à découvrir le cacao sous toutes ses facettes : il apprend à  comprendre la plante et toutes ses variétés, les qualités d’une bonne fève, le rôle essentiel de la torréfaction, le procédé du conchage pour l’affinage du chocolat, les différentes techniques de tempérage et de transformation du chocolat etc. Du chocolat de couverture – mousseux et moelleux – aux pralines, dragées et sculptures, en passant par les techniques de dégustation, le chocolat n’a plus de secret pour lui.

Mais ses acquis ne suffisent pas à ses aspirations professionnelles. Il décide donc de plier bagage pour se rendre en Italie qui, comme la Suisse, la France ou la Belgique, est l’un des pays où l’on trouve les chocolatiers et pâtissiers les plus réputés du monde.

« J’avais atteint mes limites et voulais en savoir davantage non seulement sur le chocolat mais aussi sur la culture italienne qui me fascinait notamment dans la mode », me confie Ralph Leroy. En 2018, il passe ainsi des mois entre études et stages intensifs : « J’ai étudié le chocolat sous toutes ses formes à l’Italian Culinary Institute for Foreigners (l’Institut culinaire italien pour étrangers-ICIF) à Costigliole D’Asti, dans la région de Piémont en Italie. J’ai été formé par le Maître chocolatier Silvio Bessone gagnant de plusieurs prix internationaux. J’ai effectué mes stages avec les meilleurs pâtissiers et chocolatiers de Ta’Milano et j’ai aussi eu la chance d’avoir comme mentor Riccardo Depetris, chef chocolatier de renommée mondiale, qui me conseille jusqu’à présent.» 

Ralph Leroy étudie ainsi la dégustation de chocolat à l’International Institute of Chocolate and CACAO Tasting à Firenze avec la très rigoureuse Monica Meschini, co-fondatrice et partenaire des International Chocolate Awards italo-méditerranéens, co-fondatrice de l’Institut international de dégustation de chocolat et du Tea Tasting Institute avec Gilles Brochard.

Il étudie aussi le sucre soufflé et patiné en 3D jusqu’à faire des sculptures avec le Champion du Monde de la Pâtisserie, Emmanuele Forcone (ci-dessous), à Cast Alimenti (Brescia en Italie).

Il apprend les secrets du café à Espresso Academy de Firenze (en Florence) et à Londres avant d’obtenir brillamment ses certifications européennes comme chocolatier et dégustateur de chocolat

Non content de ses nouveaux diplômes, il se rend à Trinidad à West Indies University pour aller encore étudier le cacao et le chocolat, afin de mieux adapter ses techniques à Haïti et assiste à une classe de Maître en sculpture avancée à Chicago à Chocolate Academy (l’Académie du Chocolat) avec le Maitre chocolatier et Champion du Monde de la Pâtisserie en 2005, Christophe Morel 

Le goût amer d’entreprendre en Haïti 

« Autant mon expérience en Italie fut enrichissante, autant celle en Haïti fut angoissante », lâche Ralph Leroy, « et ceci à tous les niveaux. Créer une entreprise (PME) en Haïti, c’est faire les douze travaux d’Hercules et il était chanceux de n’en avoir eu que douze ! », ironise-t-il. 

Ralph Leroy, haiti

Crédit photo: Darwin Doleyres

Si les gangs, l’insécurité, l’instabilité politique et l’absence d’accès au financement sont déjà des problèmes inhérents à la création d’une PME dans son pays natal, Ralph Leroy souligne qu’ils sont loin d’être les principaux problèmes :« Rien que pour l’enregistrement de votre entreprise, on vous dit que tout est facile, mais ce n’est peut-être vrai que si l’on dispose d’importants capitaux. Le gouvernement est absent pour les PME. Il ne vous offre aucun accompagnement, pas de guide non plus. On paye des taxes et des surtaxes comme pour vous infliger une punition d’avoir votre propre entreprise. On n’existe pas aux yeux du gouvernement sauf lorsqu’il faut payer les taxes ! », dénonce-t-il. 

« Le premier plaisir pour un entrepreneur est de s’enregistrer personnellement. Eh bien, en Haïti, soyez prêt à verser des «pourboires» ou des pots-de-vin ! J’ai toujours refusé ce genre de pratique alors ça m’a pris plus de deux ans pour avoir mes papiers avec des éternels allers retours entre le Ministère de l’Économie et des Finances, la Direction Générale des Impôts (DGI), le Ministère de l’Agriculture et tout cela avec le sentiment à chaque fois qu’on vous fait une faveur… », raconte-t-il amèrement. « Au niveau bancaire, il n’y a pas de service ou d’accompagnement pour les entrepreneurs. Recruter du personnel est un autre casse-tête. Je suis chanceux d’avoir 23 personnes que j’aime beaucoup. La majorité est là depuis mon retour.  Les formations en Haïti ne répondent plus aux normes du marché du travail et il faut souvent 3 à 5 personnes pour fournir le travail d’une personne. »

Quant à l’absence d’électricité, c’est une vraie plaie pour tous les Haitien(ne)s, en particulier depuis le début du mois de juillet 2020 où le pays entier est plongé dans l’obscurité « En vingt jours, nous avons eu quinze minutes de courant ! Savez-vous ce que cela veut dire pour une chocolaterie ? », s’exclame Ralph Leroy. 

A cela, il faut ajouter les sempiternels aléas politiques. « Pendant les opérations « pays lock », on a endossé beaucoup de pertes, perdu des acheteurs parce qu’on ne pouvait pas livrer à temps à cause des barricades ou aujourd’hui parce qu’on a perdu nos produits à cause du black-out ou de la rareté du diesel à mettre dans les génératricesEt puis, il ne faut pas avoir peur de le dire, il y a aussi la méchanceté haïtienne. Les gens ont beaucoup changé ces dernières années. Il faut désormais apprendre à faire le tri, classer certaines personnes, se méfier des prix d’amis ou des faveurs sous couvert d’une pseudo aide. Sans cela, le prix peut être très fort à la fin. La valeur des gens ne réside plus en Haïti. Nous sommes déshumanisés ! », s’écrit Ralph Leroy avec effroi. 

Et comme si cela ne suffisait pas, la Covid-19 est venue se greffer sur ce sombre tableau. Ne sachant pas ce que ce virus préparait au monde et surtout à Haïti, pays pauvre et corrompu, manquant de tout notamment d’infrastructures sanitaires, c’est alors le branle-bas de combat à Makaya Chocolat: « J’ai commencé à renforcer les formations de notre équipe dès février. Déjà, nos pratiques d’hygiène en cuisine étaient très strictes bien avant la pandémie; mais il fallait maintenant faire de l’éducation et de la prévention  pour porter les masques, les fabriquer nous-mêmes en cas de pénurie, apprendre et respecter la distanciation sociale qui n’est pas évidente en Haïti vu qu’on aime beaucoup le contact humain », se souvient le chocolatier. 

La fermeture du « Chocolate Lounge » de Makaya Chocolat a eu lieu fin février, ensuite ce fut la chute drastique de la clientèle, la fermeture de la production et la fermeture totale en mars et en avril « pour la protection de tout le monde », précise Ralph Leroy. « Depuis mai dernoer, on a recommencé timidement à travailler en rotation. On se bat tous les jours pour ne pas perdre la bataille sans aucune aide de qui que ce soit et on tient encore ».

Et maintenant ?

Paradoxalement, l’apparition du virus Covid-19, n’a pas eu seulement de mauvais côtés, souligne l’entrepreneur. « Ça nous a permis d’être plus proche de notre clientèle qui nous supporte beaucoup sur les réseaux sociaux. Makaya a aussi signé deux nouveaux partenariats pour la distribution de nos produits en Afrique, au Canada, et dans quelques états aux États Unis. On continue à développer des accords et espérons avoir d’autres bonnes nouvelles à annoncer bientôt

makaya haiti

Crédit photo: @mekitwokht

Depuis la création de Makaya Chocolat en 2016, aucun lancement officiel ou célébration d’ouverture n’a pu avoir lieu et presque toutes les fêtes importantes pour une chocolaterie – la Saint Valentin, Pâques, la Fête des Mères etc. – ont été escamotées. « L’instabilité politique nous met à genoux et nous tue tous les jours. Le pays enregistre davantage de chômage, de crimes et sa jeunesse est perdue et délaissée. Que ce soient de jeunes entrepreneurs ou d’autres plus expérimentés, nous sommes tous logés à la même enseigne. Tout le monde se regarde, personne n’ose parler mais tout le monde se plaint tout bas. On accepte de souffrir en silence sans passer à l’action. » regrette Ralph Leroy qui se dit bouleversé à l’idée de bientôt devoir choisir entre Haïti et d’autres propositions à l’étranger. « Il va me falloir faire un choix », tranche-t-il. 

« Je fais partie de l’organisation « Sa Se Biznis Pam » (SSBP) qui n’est pas un club, mais une vraie association de plus de 250 professionnels de PME qui s’entraident. Nous avons lancé une petition récemment pour demander à l’État de prendre ses responsabilités face à la situation que nous endurons tous. L’Etat ne peut pas donner du travail au peuple, c’est à NOUS les entrepreneurs en Haïti de le faire!. Mais être entrepreneur en Haïti c’est être déjà condamné d’avoir osé faire quelque chose. Tout est contre toi: le taux de change, le diesel, le black-out, l’insécurité, les locks, l’absence de l’État, la corruption  la liste est longue… et voilà qu’aujourd’hui la Covid-19 s’y met!», déclare Ralph Leroy.

Dans de telles conditions, pourquoi un entrepreneur devrait-il encore rester en Haïti ? « C’est tout simplement la passion qui anime tout entrepreneur qui a le désir ardent non seulement de réussir, mais de contribuer à quelque chose de diffèrent. Même s’il ne le sait pas ou ne le voit pas encore, un entrepreneur de PME en Haïti est un héros!», conclut-il.

 

Nancy Roc, le 19 juillet 2020.