Assassiné par mes concitoyens, je ne regrette toujours pas d’avoir aimé mon pays

par Jim Larose

Mercredi 9 septembre 2020 ((rezonodwes.com))– « Je ne m’appartiens plus. J’appartiens au pays. Je fais le sacrifice de ma vie pour servir le pays. J’aime ce pays. » Les derniers mots du professeur et constitutionnaliste Monferrier Dorval, bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, assassiné le 28 août dernier dans sa résidence privée à Pèlerin 5, commune de Pétion-ville.

Parti à jamais pour l’au delà, je suis convaincu que c’est un monde meilleur de là où je suis. Pas de persécutions politiques ; pas de maladies (incurables) ; pas de manifestations ; pas de famine ; pas d’insécurité ; pas de pays lock ; pas de grèves ; pas de pandémie ; pas de crises institutionnelle, culturelle, sociale, économique, médiatique et humanitaire ; pas de corruption ; pas de PHTK… C’est carrément un monde meilleur.

Dans cet actuel univers dans lequel je me trouve, les droits à la vie, à la santé, à une nourriture saine, à un logement décent, à la liberté de pensée, au travail… Ne sont pas des luxes. C’est un monde où la vie de tout le monde compte ; pas de préjugés de couleurs, de races, de statuts, de famille. Tout le monde est un. Car on fait partie d’une race unique qui est la race humaine. Tout le monde aurait aimé vivre dans un monde pareil, mais pas dans cet univers incertain. C’est sur terre qu’il aurait aimé jouir ces privilèges ; c’est en Haïti que les Haïtiens et Haïtiennes auraient voir ce monde, leur pays, leur patrie. D’où les grands objectifs de mes combats en tant que scientifique, patriote et citoyens engagés.

En effet, malgré que je suis mort dans une condition infra-humaine, si je devais avoir des regrets, ce seraient : le Barreau de Port-au-Prince et la Faculté de Droit (FDSE-UEH). Ils me manquent tellement, ces institutions pour qui j’étais toujours prêt à donner mes expertises. J’ai formé plus de 25 promotions (500 étudiants l’an) seulement à la FDSE, pourtant je regrette encore de n’avoir pas eu le temps d’en former plus. Ces passionnés (es) du domaine juridique, ces amoureux des lois. J’ai passé plus de deux (2) décennies à octroyer de brillants avocats (es) dans le système juridique d’ici et d’ailleurs, pourtant je regrette encore d’avoir pas eu plus de temps pour faire avec eux des débats riches et contradictoires sur des questions de droit.

Si je devais avoir des regrets ce seraient : la reforme constitutionnelle que je n’ai pas eu le temps de voir arriver à terme. Cette bataille acharnée sur laquelle j’ai toujours jetée mon dévolu. « C’est sine qua num qu’on ait une autre constitution ; pas une version amendée, mais une version toute fraîche qui rendra compte des nouvelles réalités anthropologiques, politiques, institutionnelles, culturelles et sociologiques haïtiennes » me disais-je quand j’étais dans le monde concret. Désormais, ces combats ne sont que des souvenirs pieux, car, les anti progressistes d’Haïti, sous la barbe de la communauté internationale, m’ont ôté la vie sans aucune raison valable.

Je ne suis plus dans le monde physique que j’étais certes, car j’ai été envoyé de force dans le monde parallèle par les bandits armés du pouvoir, ces idiocrates outranciers. Mais je ne regrette toujours pas d’avoir aimé autant mon pays, la seule patrie que j’ai toujours eue. Car, je ne m’appartiens plus. J’appartiens au pays. Tel que je l’ai prononcé avec fierté au micro de Magik9 répondant aux questions de Roberson Geffrard. Cette phrase tant symbolique, si j’avais à le répéter, je le ferais haut et fort avec la même fougue, le même enthousiasme et le même esprit patriotique. Cet amour démesuré qui m’a valu la mort.

« Haïti n’est ni dirigée, ni administrée ». Abattu pour ces propos jugés catégoriques, ils ne font que confirmer que le pays est pire qu’une jungle alors qu’on a soit disant une présidence, un gouvernement, une force de police, une justice… qui étaient sensées nous protéger du danger, de ces bandits écoeurés. Dans un pays dirigé et administré, même un vulgaire chien errant n’aurait laissé ce monde de la  sorte ; ensanglanté sur un trottoir à bord d’une rigole. Voire pour un être humain, un avocat, bâtonnier de surcroit. Je suis indigné. Pourtant j’aime encore ce pays. Et jamais je ne regretterai de l’avoir aimé autant.

© Jim Larose
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