France – L’étrange libération d’un condamné pour viol, analyse Le Journal du Dimanche

Condamné aux assises à 5 ans de prison pour avoir violé son assistante pendant 10 ans, un cadre libéré au bout de trois mois!

Dimanche 13 septembre 2020 ((rezonodwes.com))–L’avocat Avi Bitton n’en revient toujours pas, tant un tel rebondissement en faveur de la défense, dans une affaire de crime sexuel, est peu commun. Son client, cadre dans le secteur de la serrurerie condamné le 13 mars 2020 à cinq ans de réclusion par la cour d’assises de l’Essonne pour avoir violé son assistante pendant dix ans, a été libéré le 16 mai… soit trois mois seulement après la sentence.

Certes, l’homme de 60 ans a fait appel, mais une telle décision de remise en liberté reste exceptionnelle. D’autant que ce dernier a été condamné à une peine avec sursis en 2017, pour agression sexuelle au travail, déjà.

« De nombreux détenus sont dans ce cas et pourtant on ne les libère pas« 

Pour Me Bitton, cette libération soudaine est le signe que « le fond de l’affaire peut laisser penser qu’il est innocent« . C’est en tout cas ce que l’avocat a plaidé devant la chambre de l’instruction. Dans les faits, cette instance chargée d’examiner la demande de mise en liberté de son client lui a donné raison au motif que ce dernier avait un travail et un logement. « Mais de nombreux détenus sont dans ce cas et pourtant on ne les libère pas« , remarque l’avocat.

Tout a commencé en février 2014, lorsqu’une assistante porte plainte contre ce supérieur hiérarchique ; elle dénonce une trentaine de relations sexuelles non consenties pendant dix ans. Ce qui l’a conduite à, comme l’écrit la cour d’assises dans son arrêt, « briser l’engrenage »? Une autre plainte contre le même homme, pour harcèlement et agression sexuels, celle d’une jeune collègue, nouvelle arrivante dans l’entreprise. Cette affaire dans l’affaire a conduit à sa condamnation pour agression sexuelle.

La notion d’emprise au cœur de l’affaire

Me Bitton assure de son côté que son client et la secrétaire ont entretenu, entre 2003 et 2014, « une relation extraconjugale ». Il évoque notamment des rapports sexuels chez la plaignante, qui avait donné à son supérieur le planning de son policier de mari, et les cadeaux qu’elle lui a faits. Pendant l’audience, l’avocat a brandi un tee-shirt noir arborant dans le dos l’île de la Réunion se confondant avec une femme nue, une bouteille de rhum, ou encore des accessoires de bureau ­estampillés PSG, une des passions de l’accusé.

Sourde à ces arguments, la cour d’assises relève dans son arrêt une « situation d’emprise caractéristique de la contrainte morale » dans laquelle se serait trouvée cette femme prise dans l’ »engrenage » d’une longue « relation ». L’acte fondateur, selon la cour, en est un viol prescrit survenu alors que cette dernière, alors âgée de 24 ans, venait d’intégrer l’entreprise. Le directeur l’avait, dit-elle, renversée sur une table alors qu’elle faisait des photocopies. « Alors qu’elle se relevait en pleurant, est-il détaillé dans les motivations de l’arrêt, il l’avait prise dans ses bras en la consolant. »

« Ma cliente a été victime de plusieurs viols au cours desquels elle s'est débattue, en vain« 

« Ma cliente a été victime de plusieurs viols au cours desquels elle s’est débattue, en vain, appuie ­Marjolaine Vignola, l’avocate de l’assistante. Puis elle a cessé de résister physiquement, tout en témoignant de son opposition. » Pour l’avocat de la défense, la notion d’emprise, qui n’a pas de définition dans le Code pénal, serait « la bouée de sauvetage d’accusations de viol désespérées » dans un dossier sans aucune preuve. Et la relation d’assujettissement qui découlerait de ce viol prescrit, « une thèse » non étayée.

De fait, plaide-t-il, « la cour n’explique à aucun moment pourquoi la plaignante n’a jamais démissionné de l’entreprise en dix ans », ce qui de son point de vue pose la question du consentement« .

Pour Me Vignola, la remise en liberté d’un homme qui, après avoir été licencié pour faute grave dans cette affaire, a retrouvé du travail dans le même secteur « donne le signal que la justice est assez peu protectrice des femmes« , recréant « exactement les mêmes conditions qui lui ont permis d’agresser des salariées de son ex-entreprise« .

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