Le spécialiste de droit international, James Boyard analyse la note du BINUH relative aux actes des gangs armés
Une erreur matérielle s’est-il glissée dans la Note du BINUH du 13 août, sinon s’agit-il d’un message voilé menaçant directement le gouvernement de poursuite judiciaire internationale ? »
Exprimant, dans une note publiée le 13 août passé, ses préoccupations face à la recrudescence de l’insécurité en Haïti, le BINUH a fait observer en substance que les actes des gangs armés pourraient constituer des crimes internationaux en vertu des règles des « Droits de l’homme ». Evidemment, assimiler les crimes de ces bandits armés aux violations des droits de l’homme peut donner lieu à une double interprétation.
Il peut s’agir soit d’une erreur de traduction de l’anglais au français où le concept de « Humanitarian rights » (Droits humanitaires » a été par inadvertance traduit par celui de « Human rights » (Droits humains). Dans cette optique, le BINUH aurait voulu tout simplement menacer les gangs armés de poursuite par devant une juridiction pénale internationale en vertu de leurs violations de certaines règles des Droits humanitaires.
A contrario, au cas où il n’y aurait pas d’erreur de traduction, la note du BINUH serait un message voilé lancé par les autorités onusiennes au gouvernement haïtien l’informant que sa responsabilité internationale pourrait être mise en cause par devant une juridiction internationale des Droits humains, en l’occurrence, la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Il est entendu que chacune de ces perspectives renvoie à deux logiques juridiques différentes et surtout deux systèmes de droit distincts consacrés par le Droit international contemporain :
Pour la Ière interprétation allant dans le sens de la poursuite des gangs armés par devant une juridiction pénale internationale :
Par principe, les actes criminels perpétrés par des individus ou des groupes d’individus, tels, des gangs armés correspondent d’abord à des violations de la législation nationale de « l’Etat du territoire ». Sur cette base, en fonction du principe de la « territorialité du droit pénal » ou de la « Lex loci delicti », la poursuite de ces crimes relèvent directement des tribunaux de l’Etat sur le territoire duquel a été commis ces crimes.
Cependant, la situation de certains gangs armés haïtiens, dont particulièrement celle du G9 et du Gpep est particulière pour deux raisons spécifiques, l’une « politique » et l’autre « judiciaire » :
(1) Du point de vue politique : Il faudrait avant tout rappeler que les gangs armés se définissent tout d’abord comme des « groupes armés illicites » poursuivant un « but économique ». Une telle définition a bien sur le mérite d’établir la différence d’une part, entre les gangs armés et les forces de Police ou militaires qui sont elles des groupes « armés licites » et d’autre part, entre ces gangs et les mouvements de libération nationale, les groupes révolutionnaires ou les groupes terroristes qui, tout en étant également des groupes armés illicites poursuivent cependant un « but politique ».
Aussi, en cherchant à transformer (tout au moins médiatiquement) leur « but économique » en « but politique », en se réclamant tous deux de la lutte contre un système politique qualifié de prédateur, les gangs « G9 » et « Gpep » se sont transformés sans le savoir en « sujets » directs du droit international ;
(2) Du point de vue judiciaire : En manifestant leurs velléités de poursuivre des « gains politiques », ces gangs armés peuvent-être désormais considérés comme des « groupes armés » auxquels sont applicables les règles des Droits internationaux humanitaires.
En effet, si la plupart des règles internationales des Droits humanitaires portent substantiellement sur des situations ayant trait à des « Conflits armés internationaux (CAI) », l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, ainsi que leur Deuxième Protocole additionnel adopté en 1977 traitent spécifiquement des situations se rapportant aux « Conflits armés non internationaux (CANI) », lesquels correspondent justement aux activités et statut actuels du G9 et du Gpep.
Pour cause, l’article 1 du Deuxième Protocole défini les CANI soit comme des conflits opposant des forces armées gouvernementales et des forces armées rebelles soit tout simplement deux groupes armés non gouvernementaux dûment « organisés et hiérarchisés ». Fort de cette considération, les G9 et Gpep s’étant présentés comme des groupes armés hiérarchisés, dirigés par un commandant ou un chef unique et connu, le conflit qui les oppose s’apparente naturellement à un CANI.
D’un autre coté, en s’adonnant habituellement à des massacres, des viols collectifs ou individuels, des actes d’incendies, de tortures ou d’enlèvement, suivis de mauvais traitement contre les membres de la population civile ou les citoyens qui ne participent pas aux hostilités entre ces gangs, ces derniers se sont rendus coupables de violation grave des garanties fondamentales consacrées par l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et les articles 4 et 5 du Deuxième protocole additionnel.
Tout ceci pour conclure qu’ en raison du statut « politique » de leur but, de la nature « organisée et hiérarchisée » de ces groupes armés illicites et de la dimension « internationale » de leurs violations, les gangs communément appelés G9 et Gpep peuvent être désormais poursuivis légitimement par devant une juridiction pénale internationale, en vertu des Droits internationaux humanitaires.
Naturellement, même lors qu’Haïti n’ait pas ratifié le Statut de Rome, le fait que les crimes commis par ces gangs armés peuvent être considérés comme des actes menaçant la paix et la sécurité internationales, cela laisse la possibilité au Conseil de sécurité de saisir, sur la base du principe de « subsidiarité », le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) contre les chefs de ces gangs, ainsi que contre leurs membres ou leurs alliés.
Pour la IIème interprétation allant dans le sens de la mise en cause de la responsabilité internationale du gouvernement haïtien par devant une juridiction internationale
Qu’il s’agisse des instruments universels de défense des droits humains, comme la « Déclaration universelle des droits de l’homme » adoptée par les Nations unies le 10 décembre 1948 ou des instruments à vocation plus régionale, telle, la « Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme » adoptée par l’OEA le 22 novembre 1969, ils appréhendent tous les violations des droits humains comme étant des catégories d’infractions commises par l’Etat, son administration ou ses agents.
Aussi, en interprétant la note du BINUH comme une menace judicaire directe contre le gouvernement haïtien cela reviendrait à dire que les responsables de cette mission onusienne a non seulement voulu imputer les crimes commis par ces gangs au gouvernement haïtien, mais aussi et surtout décidé d’assimiler ces gangs, notamment le G9 de Jimmy Cherisier aux agents dudit gouvernement.
Dans cette optique, les actes d’assassinat, de viols, de vols, d’incendies, de tortures ou d’enlèvement de personnes commis par ces gangs pourraient être interprétés comme du « terrorisme d’Etat » et engagés directement la responsabilité du gouvernement.
Devant une telle perspective, la communauté internationale serait en droit d’engager deux types de poursuite, l’une devant la Cour pénale internationale et l’autre devant une juridiction internationale des droits de l’homme.
Pour ce qui est de la saisine de la CPI, elle correspondrait aux mêmes procédures déjà évoquées plus haut. La seule particularité serait qu’au lieu d’incriminer les bandits eux-mêmes, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait saisir cette Cour contre certains responsables gouvernementaux directement.
En ce qui est cette fois de la juridiction internationale des droits de l’homme, il faut noter que les procédures auront pour vocation de cibler l’Etat haïtien pris collectivement, plutôt que les membres du gouvernement.
En outre, il est également utile de faire observer qu’en absence de juridiction universelle des droits de l’homme, le gouvernement haïtien ne pourrait être attaqué que par devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), à travers la saisine d’Etat membre de l’OEA, ayant reconnu la compétence de cette Cour ou ratifié la Convention interaméricaine des droits de l’homme.
Evidemment, vu que la CIDH n’est pas une juridiction pénale internationale et de ce fait, ne pourrait condamner l’Etat haïtien à l’emprisonnement, les condamnations à l’indemnisation des victimes ou de leurs ayant droits aux dommages-intérêts sont les seules peines qui pourraient être prononcées contre le gouvernement haïtien.
En conclusion, notre analyse nous a permis de préciser que les Droits humanitaires et les Droits humains sont deux champs juridiques distincts. Même si ces deux catégories de règles du droit international ont en commun le souci de protéger l’individu contre des violations graves, au point qu’elles paraitraient être interdépendantes et complémentaires, elles ne doivent jamais être confondues, du fait qu’elles mettent en œuvres des logiques juridiques, des règles de droit et des mécanismes judicaires différents.
D’un autre coté, il nous reste aussi à préciser qu’en ce qui a trait aux possibilités de répression des crimes commis par les gangs armés haïtiens par devant une juridiction pénale internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies pourraient aussi prétexter la défaillance de la justice haïtienne et instituer comme il l’avait déjà fait pour la Yougoslavie en 1993 (TPIY) et pour le Rwanda en 1994 (TPR) sur la base de l’article 39 de la Charte, un « Tribunal pénal international pour Haïti (TPIH).
Ainsi, en plus du fait que l’image d’Haïti reste ternie par le fait qu’il soit encore classé le seul PMA du continent, on risque de trainer aussi pendant des générations la honte d’avoir été le seul pays de tout cet hémisphère, dont les autorités politiques ou les citoyens aient été poursuivis par devant une juridiction pénale internationale.
James Boyard,prof.
Spécialiste de Droit international
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